Rêves et réalité de réfugié par un réfugié

Ahlem Laje (pseudonyme) est un migrant soudanais. Après avoir risqué sa vie aux portes de l’Europe et traversé les frontières intra-européennes, il a vécu plusieurs mois sur le campement d’Austerlitz. Il témoigne de ce qu’il a vécu, lui et ses compagnons : la misère, le sale business de certaines associations « solidaires », le harcèlement et la violence policière, les manigances de la mairie de Paris pour les enfoncer un peu plus, et la désillusion sur la France et ses « droits de l’homme ». Ce texte a été publié dans le journal Merhaba n°2.

Illustration - photo d’une des manifestations du campement de République - octobre 2015

On a du mal à imaginer que des personnes en arrivent à tout abandonner et à sacrifier leur vie.

Que les migrants embarquent sur des rafiots pourris où les vagues viennent se casser sur leurs torses et où ils bravent la mort à chaque instant. Qu’ils restent ainsi, femmes et enfants compris, 7 jours, parfois 10, entre la vie et la mort...En apercevant les bateaux de sauvetage, coulent les larmes de joie, de soulagement. Parmi ceux qui prient, chacun, musulman ou chrétien, remercie alors la grâce de dieu dans la religion qui est la sienne.

Les migrants se rendent compte que ces mêmes donneurs de leçons européens traitent les gens sans respect ni humanité.

Après cela on pense à comment on va réaliser notre rêve. Mais les migrants se heurtent à une réalité qui brise tous leurs rêves. Ils se rappellent les discours des chefs d’état, des responsables politiques des pays d’Europe, de tous ces donneurs de leçons qui reprochent des choses au président soudanais. Mais ils se rendent compte que ces mêmes donneurs de leçons européens traitent les gens sans respect ni humanité.

Mais malgré cela pour se donner du courage et de l’espoir les migrants se disent entre eux, entre compagnons, que ce sera mieux demain. Chaque personne essaie de s’accrocher à ses rêves. Mais le rêve est une chose et la réalité est toute autre. Parmi les migrants il y a ceux qui essaient de faire valoir leurs droits avec tous les interlocuteurs possibles. Et d’autres qui se sentent traqués et essaient de fuir tout ce qui représente la répression. Comme si finalement ils étaient restés dans leur pays, pays qu’ils fuient pourtant pour échapper à la police.

En Italie, dans les camps de migrants, chacun s’encourage en fonction de ses rêves de destination : Suède, Angleterre, Allemagne,.... Et c’est là que les chemins se séparent pour les compagnons de route. Chacun se disperse dans une direction différente. Les personnes passées par Vintimille essaient par tous les moyens de parvenir sur le territoire qui les fait espérer : la France.

La première réalité à laquelle les migrants se heurtent en France c’est que dans ce pays il n’y a pas de camp d’accueil pour les réfugiés. Commence alors un grand questionnement : vers qui se tourner ? Par où commencer ? La seule solution qui apparait c’est de demander l’asile. Et après avoir demandé l’asile, à leur grand regret, les migrants se retrouvent clochardisés.

La réalité est que la plupart de ces gens, pas tous mais la plupart, avaient d’autres intérêts politiques et financiers et attendaient des subventions.

Par exemple, et ce n’est pas seulement mon cas, nous étions un très grand nombre de migrants sans espoir et sans abri sous le pont d’Austerlitz. Et nous avons été surpris par des organisations et des personnes qui prétendaient être solidaires avec nous et nous aider. La réalité est que la plupart de ces gens, pas tous mais la plupart, avaient d’autres intérêts politiques et financiers et attendaient des subventions. Et petit à petit quelques réfugiés ont compris ou découvert que ces personnes là servaient d’autres intérêts. Au final, lorsque ces organisations et individus prétendument solidaires appelaient à des réunions, beaucoup de migrants ont fini par les rejeter et les défier. Il y a eu des divisions entre les organisations et associations prétendument solidaires sur le campement. Après cela des contacts ont été pris avec les autorités concernées de crainte de ce qu’il aurait pu se passer avec les migrants après que des scandales aient éclaté. La mairie et l’administration sont venues pour constater les problèmes et écouter les demandes des réfugiés. Ces autorités ont promis des hébergements mais les représentants des réfugiés ont demandé des papiers en priorité.

La première chose que l’administration a faite c’est d’essayer de cadrer les délégués qui parlaient au nom des migrants et de tenter de les isoler géographiquement, de les menacer, de noter leurs noms. Mais cela n’a pas fonctionné.

Il y a eu un gros souci entre les représentants des associations et les migrants. Il y a eu aussi un dénommé B. qui prétendait œuvrer et collecter pour les migrants mais c’était une supercherie et il servait ses propres intérêts sur le dos des réfugiés. Quand cela a été découvert, il a été renvoyé. Il y a eu une intervention de la police pour le sauver car il était entouré par les migrants qui demandaient des comptes ; la police est alors intervenue violemment contre les réfugiés en les menaçant avec des bombes lacrymogènes. Les autorités qui géraient le camp ont eu peur et ont commencé à réfléchir à un plan pour démanteler le campement d’Austerlitz. Alors, quasi quotidiennement il y a eu des comptages et recensements faits par la police. La mairie et la préfecture ont promis qu’il y aurait des hébergements très rapidement.

L’objectif des autorités était de juguler d’une manière ou d’une autre l’arrivée de nouveaux migrants.

Les médias ont commencé à venir très souvent, ils se sont en quelque sorte abonnés au lieu. Le nombre de migrants n’a cessé de croitre. L’objectif des autorités était de juguler d’une manière ou d’une autre l’arrivée de nouveaux migrants. Ils ont circonscrit le campement avec des barrières et bloqué les accès qui menaient à la gare d’Austerlitz. Mais leurs tentatives ont échoué.

Ces mêmes autorités ont envisagé d’héberger une partie des migrants et d’en laisser une autre, ce qui a échoué aussi. Des hébergements ont été proposés par fournées mais là encore les migrants ont refusé et ont demandé à ce que tout le monde soit hébergé sans discrimination et en même temps.

Le jour de l’évacuation du campement ils ont fait venir des bus mais leur première démarche a été d’évacuer les représentants des migrants qui ne se sont pas soumis aux volontés de l’administration et des autorités loin de Paris. Sans doute la récompense au fait qu’ils soient restés solidaires de tous leurs compagnons de route migrants...

Les hébergements se sont faits selon les normes imposées par les centres, la mairie et la préfecture et quiconque contrevenait un temps soit peu au règlement intérieur ou ne le comprenait pas en a été renvoyé.

Les hébergements se sont faits selon les normes imposées par les centres, la mairie et la préfecture et quiconque contrevenait un temps soit peu au règlement intérieur ou ne le comprenait pas en a été renvoyé.

Ne trouvant pas d’abri et se confrontant à des difficultés si les migrants envisageaient de revenir sous le pont d’Austerlitz, ils constataient que le périmètre était bouclé par les forces de l’ordre ou des vigiles. Le retour de la clochardisation, de cette errance dans les rues, exactement comme aux premiers jours de l’arrivée en France.

Nombreuses sont les associations ou les organismes qui ont fait du business sur notre dos quand nous étions sur le campement d’Austerlitz. Jusqu’à l’évacuation du camp et même après. Le business continue dans les centres dortoirs qu’ils appellent hébergement ou logement.

Les autorités françaises font tout pour renvoyer les migrants en enfer et ainsi tuer tous leurs rêves et tous leurs espoirs.

Le traitement dans les centres d’hébergement, dans des conditions difficiles, méprisantes et liberticides, les horaires draconiennes, la surveillance de nos moindres faits et gestes, les menaces de renvoi, les conditions de distribution des repas... Nombreux sont ceux qui ont pensé au suicide ou même à revenir dans leur pays quitte à s’enrôler dans des groupes d’opposants clandestins pour échapper au régime ou encore à se livrer au pouvoir, ce qui est aussi une forme de suicide.

Les autorités françaises font tout pour renvoyer les migrants en enfer et ainsi tuer tous leurs rêves et tous leurs espoirs. Et ceci n’est que la partie visible de l’iceberg, une petite partie de l’histoire que vivent les migrants et réfugiés en France.

Ahlem Laje’

Mots-clefs : migrants
Localisation : région parisienne

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