Retour sur un mois à Pajol

Récit sur ce que j’ai vu à Pajol depuis l’expulsion du jardin d’Eole...

Les nerfs de vivre, ici pas comprendre, des migrants étalées dans la rue, des types qui sont morts 3 fois, et des types comme nous derrière :

Des militants, des soutiens, des gens du quartier, des associatifs, des humanitaires, des anarchistes, des citoyennistes, des trotskistes, après on ne voit plus qu’eux, ça fait une drôle de croûte, les migrants devant et nous derrière, et devant les migrants la police qui lapide, et nous derrière, la politique ça se fait par derrière, derrière le bouclier des migrants, on comprend pas bien où se joue la politique, ça se joue derrière les gens, les boucliers migrants devant, le pouvoir les frappe, pour nous c’est le bouclier, tout le monde utilise tout le monde sans le vouloir, les migrants nous utilisent pour survivre, le pouvoir pour plaire et pour exclure, les militants pour avoir une cause sacrée, et de toutes les motivations la seule qui vaillent c’est la survie, le reste c’est à jeter, le reste c’est de la chiennerie, c’est de la mauvaise conscience, c’est de l’entrisme, c’est du paternalisme inversé et pervers,

« les bons migrants ont toujours raison, on est là pour eux, on se donne la main, on leur donne la main »,

mais la main de qui ? la main du père blanc, la main qui guide sans tirer, la main du gouvernement, la main de la militance qui choisis ses causes, la main qui veut être indispensable, la main qui rédige, la main qui crie, la main qui frappe, la main qui nage dans le flot de la Méditerranée et des soutiens qui sont là, qui accueillent qui assaillent qui sourient qui compatissent, la main qui prend sans toucher, alors qui utilisent qui ?

On s’utilise tous les uns les autres, mais certains survivent, d’autres s’inventent une vie, ils s’inventent leur vie avec les migrants, ils inventent les vies des autres aussi, ils utilisent des vies pour vivre, ils utilisent des vies pour dire des mots, les mots des autres, et on dit c’est noble, et on dit c’est courageux, et on dit c’est important, et on dit c’est la cause avant tout, et la cause elle avale tout, après on ne voit plus les gens, les migrants sont là mais on ne les voit plus, la cause éblouit, faut continuer coute que coute, faut y aller dare-dare, et tout ça est en fait vain, tout ça c’est de la routine, tout ça ce sont des habitudes de pensées, tout ça se sont des postures de curés, tous le monde inspecte tout le monde, on n’aime pas les flics mais on se flique tous, on devient tous mesquin, on s’épuise et on devient des chiens, la parano gagne les esprits libres, on sait mieux que les autres, on a fait la guerre, on a fait la révolution, personne n’a rien compris mieux que moi, autisme des petits milieux qui se bouffent la rate, égotisme des types qui veulent le monde à leur image, on doit tous être pareil, on doit tous marcher droit.

Tous nos choix sont biaisés, les hégémonies morales ça pue, surtout parce que dedans l’humain pue, les hégémonies c’est haut et c’est grand, il y a de l’égalité à la crème, il n’y a plus d’État ni plus de domination tout court, et tout ça je suis d’accord, mais dedans l’humain pue, dans les rapports, dans la parole, les types les plus durs sont les révolutionnaires d’aujourd’hui, ils disent purs mais j’entends dur, ils disent purs j’entends faux, j’entends la musique minoritaire qui chante, j’entends les faux sentiers de la subversion bien entendus bien rebattus jusqu’à la moelle, j’entends ceux qui veulent remplacer un système par le leur, j’entends ceux qui se plaignent de fierté, j’entends ceux qui se louent d’être trop seuls, parce qu’au fond ils aiment ça être seuls, être minoritaire, se complaire dans un milieu, se complaire dans des ornières de sectes, malgré toutes les belles idées qu’il y a dans ce coin l’homme y pourrit vite, ils veulent être entre eux, pas libres mais entre eux, égaux mais entre eux, égaux entre soi, égaux pour le même, tautologie de l’égalité alors, être égale à soi-même c’est très simple, tout le monde le fait tout le temps, il n’y a pas d’effort là-dedans, il y a juste de la paresse et de la complaisance, il y a juste de la démission, il y a juste des milieux qui pourrissent sur pied depuis Cronstadt et la charte d’Amiens, depuis la mort de Trotsky et de Mao, des gens qui vivent par procuration, procuration par tendance, procuration par hommes interposés, procuration par migrants et par sans-papiers, procurations de types qui affrontent la vie que par celles des autres, des types qui veulent juste changer de vie, et pas la vie dans son ensemble.

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