Reflexion sur un anarchisme non-sectaire

Un manifeste pour une réflexion non sectaire de l’anarchisme : anarchie libertaire, purisme idéologique, identité, lutte et éducation populaire

Ce texte a été écrit du point de vue anarchiste pour chercher à comprendre et défaire la sectarisation de la lutte et des mentalités, un des plus grands obstacles à une percée populaire contre le capitalisme.

Quand l’anarchie sera là, elle sera tout, et donc, personne ne la nommera.
Tant qu’on la nomme, l’anarchie n’est pas.
Car l’anarchie n’est rien, mais il y a beaucoup de choses qu’elle n’est pas.
L’anarchie n’a pas de symboles. L’anarchie ne se possède pas.

L’identité dans la lutte et le purisme idéologique

Nous avons tendance à nous identifier à travers la lutte et notre idéologie, et à défendre cette identité par un purisme idéologique mal placé. Toute critique ou considération pratique génante à l’encontre de l’idéal anarchique est alors perçue égo-centriquement comme une attaque à l’identité que nous nous sommes construits en opposition avec le système. Cela peut couper les franges les plus radicales du mouvement du reste de la population, et empêcher une union qui seule peut garantir une victoire, ou du moins une percée contre le capitalisme.

Rechercher son identité à travers le radicalisme politique résulte souvent en un purisme idéologique négatif, stérile, de contradiction et sur la défensive.

"Nous sommes la lutte".

Oui, dans le sens ou notre mode de vie est la lutte et le futur de la lutte. Mais du point de vue identitaire c’est une erreur.

Nous sommes des individus qui luttent.

Si nous faisons de la lutte notre identité, nous nous séparons des autres  : ce qui est extérieur a la lutte, n’est pas "nous" et nous ne pouvons plus l’inclure dans notre monde qui se veut inclusif.

Mes parents ne luttent pas, devrais-je me sentir distant  ? Lorsque je m’identifiai à la lutte, parfois ils me semblaient étrangers  : mon idéalisme faisait plus de mal que bien.

Sous la forme «  l’anarchie demain ou rien  », nous nous coupons parfois de la population moins radicale.

Nous nous devons d’être intransigeants ! Mais éliminons ce qui est puriste. Car ce qui est intransigeant relève de la pratique, mais le purisme idéologique est abstrait et relève de l’identité. L’intransigeant se révèle dans l’action et la décision lorsqu’un choix se présente, le puriste dans le symbole et l’attachement aux concepts idéologiques déconnectés de leur réalité pratique.

Se défaire de l’identité individualiste

Évitons de rechercher notre identité à travers la lutte. La lutte peut nous en défaire. Du moins de l’identité telle que nous la vivons généralement  :

L’identité est une illusion construite pour nous sentir un élément unique de la société individualiste, pour nous donner de la valeur. Un ensemble d’idées reçues qui nous permet de nous situer par rapport aux autres, et donc en dehors des autres, en conflit. Mais cette identité figée est un concept abstrait, une illusion, qui s’adapte très mal aux situations pratiques, à la réalité. Fantasmée, elle prône à l’égotrip et forme des barrières entre nous et les autres.

Lorsque idéalisme politique, lutte et identité ne font qu’un - ce qui est souvent le cas - notre vision du monde deviens rigide, binaire.

L’identité, est une porte ouverte à la dissonance cognitive, au repli sur soi et à la crise identitaire qui suivra la désillusion. Par idéalisme, elle nous éloigne par une construction de l’intellect des gens qu’on aime ou qu’on pourrait aimer, de gens avec qui l’on pourrait lutter, débattre, avancer et vivre.

La personnalité, elle, ne présuppose pas le développement d’un égo qui nous flatte ou nous rassure. Libérés des brides de l’identité nous interagissons avec les gens et les situations simplement en accord avec notre morale, notre idéologie et notre tempérament. Sinon, nous interagissons avec notre égo, qui lui, filtre, juge, et interagit ensuite avec comme but principal sa propre préservation.

Non seulement nous pensons avoir une identité, mais nous en déduisons que les autres en ont une aussi ! En essayant de la comprendre pour la ranger dans nos esprits, nous nous aveuglons à la complexité de l’autre dans un réflexe dualiste.

Se défaire de l’identité nous permet de lutter en confiance, non dans le refus, la tolérance, ou l’identification, mais en transcendant la différence. Les divergences et différences peuvent être abordées sereinement et comprises pour ce qu’elles sont. Combattues ou défendues selon leur nature.

L’anarchie est un état d’esprit et non un dispensaire d’identité comme le capitalisme, qui nous distribue des identités prêtes-à-porter pour qu l’on ne se préoccupe pas de notre harmonie avec les autres, mais plutôt de qui a l’identité la plus bling bling.

Luttons avec sérénité, le sourire aux lèvres et le poing levé, sans broyer du noir car « notre identité ne pourras jamais s’épanouir dans le monde dans lequel nous sommes ».

Attention, dans ce discours le purisme idéologique doit être distingué de la lutte légitime contre le réformisme bourgeois, car il n’est pas rationnel, mais résulte de la défense d’un monde fantasmé qui a plus à voir avec l’identité personnelle qu’avec la réalité pratique.

Anarchie libérale et anarchie libertaire

La seule différence entre anarchie libérale et anarchie libertaire, est l’esprit sous-jacent. Le libéral est régi par la loi du plus fort, le libertaire par l’empathie.

Conviction sous-jacente à l’Anarchie Libérale : Le bonheur de l’être humain se trouve dans l’accomplissement de sa volonté de pouvoir

Conviction sous-jacente à l’Anarchie Libertaire : Le bonheur de l’être humain se trouve dans l’accomplissement de sa nature empathique

L’anarchie libérale ne nécessite donc qu’une absence totale de loi, sans besoin d’éducation populaire  : c’est l’issue la plus probable d’une anarchie instaurée aujourd’hui sans travail éducatif de longue haleine !

Le néo-liberalisme actuel va vers l’anarchie libérale et le revendique souvent. Par exemple le patron de Facebook est entrain de réfléchir à la construction d’une énorme plateforme océanique ou il instaurerait une anarchie libérale, armes autorisées (et presque conséillées !).

L’anarchie libertaire, au contraire, suppose que tous les hommes et femmes soient disposées à laisser tomber leur égo et le matérialisme consumériste du Capital pour vivre dans l’entraide. Ceci suppose d’avoir un certain recul sur soi-même et sur la société.

Voici donc le travail d’éducation populaire et de transformation progressive de la société (attention, il n’est pas question de réformisme politique ici, on pourrait parler de réformisme moral) qui s’impose comme préalable a l’instauration de l’anarchie libertaire.

Il ne faut pas voir l’anarchisme comme un autre système artificiel que l’on propose mais comme une sorte d’absence de système, ou un système qui s’auto-construit et s’auto-gère par l’éducation populaire sinon on retomberas dans les pièges des grands systèmes idéologiques. Donc, si cette auto-education populaire elle va dans le sens des hipsters, de leur « économie du partage » et de la silicon-valley, on est mal barrés.

Pour cette raison, nous devons considérer l’anarchie libertaire comme un but à atteindre régissant toutes nos actions, mais nous ne devons pas idéaliser la réalité pratique et notre discours autour d’elle.

Si tout le monde était prêt à abandonner son égo et à penser aux autres et à soi-même en harmonie, sans se dissocier a gros coups d’identité individuelle ou d’appartenance l’anarchie libertaire adviendrait automatiquement, car nous n’aurions plus besoin de lois, et le capitalisme serait vite à court de carburant humain.

En faisant taire les cris du capitalisme, cette symbiose se fera tout naturellement.

En dehors de ça, l’anarchisme n’est autre qu’un phare pour maintenir le cap dans la nuit capitaliste.

Tout le monde est anarchiste !

Supposons que :

1. Les conditions humaines et morales nécessaires au fonctionnement de l’anarchie libertaire rendent la loi obsolète et unifient l’état d’esprit en effaçant l’individualisme.

2. Les différents systèmes ne sont différenciés que par la loi et l’état d’esprit.

Selon 1 et 2, il s’en suit :

3. Les conditions de l’anarchie libertaire réunies, n’importe quel système, communiste, capitaliste etc., marcherait de la même manière !

Pour cette raison, l’anarchie est un état d’esprit et non une organisation sociale.

En réalité donc, tout le monde est anarchiste. Tout le monde désire un monde ou il est libre et en paix avec les autres, n’étant régit par aucune loi sauf celles qui ne limitent personne car personne ne veut plus les rompre, et qui n’ont donc qu’une existence philosophique.

En pratique il ne peut exister d’autre anarchie que celle-ci, car l’anarchisme n’est possible que si tout le monde l’est.

Actions d’urgence et éducation populaire

En pratique, donc  :

Il s’en suit que la lutte doit être conçue à deux niveaux intimement liés  :

  • La lutte «  d’urgence  » contre les actions ou les inactions du Capital
  • L’éducation populaire

— > Les manifestations, blocages, casses, ZAD, et actions incubatrices d’anarchies libertaires diverses - mais aussi le soutiens aux migrants par exemple - ont tout autant un rôle éducatif qu’un rôle de « mesures d’urgence » contre le capital.

Par éducation populaire, il n’est évidemment pas question d’une élite anarchiste illuminée qui apprends la vie au reste de la population, mais d’une recherche et d’une destruction active, individuelle et collective, de tout ce qui relève de l’égo, du capital et de son monde dans nos esprits, notre culture, notre mode et de vie et notre inconscient.

Le système n’est autre que la somme de ses individus

Que l’anarchie libertaire ne puisse être établie autrement que par l’éducation populaire, patiente et tolérante est facilement compréhensible. La société n’est que la somme de ses individus  : des anarchistes les plus radicaux aux néo-nazis les plus haineux en passant par le bourgeois et le prolétaire non politisé.

Les malheurs du monde ne sont que la matérialisation des défauts, des égos de chacun. Il n’existe pas de mal extérieur, personnifié en quelques individus comme l’on peut l’entendre dans les théories complotistes ou dans la xénophobie de la droite. Il n’existe que des puissants et des tendances qui surfent sur la vague de nos défauts, de notre cupidité, de nos peurs, de nos envies, de notre aveuglement à l’autre. Éliminons cette vague, nous éliminerons l’oppression et les oppresseurs.

L’identification d’un diable ou d’un calcul maléfique est binaire et ne fait que nous déresponsabiliser.

Il s’en suit que nous devons lutter d’urgence contre ces « monstres » (la finance, l’état autoritaire et policier, l’esclavagisme du capital, le terrorisme, la haine anti-immigrés, etc.) crées par la somme de tous nos défauts, mais qu’ils re-surgiront sous d’autres formes dès qu’ils seront éliminés si la lutte ne s’inscrit pas dans une optique d’éducation populaire.

Se focaliser sur les « monstres » pour ne pas parler du fond - notre mode de vie - est précisément l’apanage de la pensée dominante (obsession du FN, du terrorisme...).

Le seul moyen de les éliminer définitivement et de faire advenir l’anarchie libertaire est donc l’auto-éducation populaire, l’élimination de ce qui est mauvais chez chacun d’entre nous (à diverses proportions si l’on veut, mais ça n’as aucune importance et ça ne mène qu’a l’égotrip) et exacerbé par le capitalisme.

Il n’y a pas un anarchiste qui ne devrait pas se changer ne serait-ce qu’un peu pour vivre dans une anarchie réelle, nous avons donc tous en nous - fruit de milliers d’années d’éducation engrangée par nos cultures - une portion de ce mal qui se manifeste sous de bien tristes formes.

Conclusion

Il n’y a pas d’idéologie anarchiste, mais des choix anarchistes.
L’anarchisme ne juge pas a priori dans le monde des idées, il choisit au cas par cas dans la réalité pratique.

L’anarchisme n’existe pas en dehors de l’action anarchiste.
L’anarchisme ne crée pas une réalité intellectuelle, mais à travers l’action il brise les illusions.

L’anarchisme n’est pas abstrait, il n’est que concret.
L’anarchisme n’est pas un système de pensée, il est son absence qui permet l’union de la multitude et l’épanouissement de l’individu.

Arrêtons le purisme intellectuel. Ce sectarisme réduit sensiblement nos chances de victoire. Nous le voyons dans les débats, dans les manifestations, et particulièrement sur internet dans les débats sur le mouvement de lutte actuel. Concentrons-nous sur la lutte d’urgence et la concertation collective (mais aussi l’introspection). L’auto-éducation populaire, la convergence des luttes en laissant nos égos de côté.

Nous devons ramener au devant de nos consciences ce qui est devenu part de notre inconscient identitaire :

Réfléchissons nos vocabulaires, codes, symboles, affiliations et identités ; confrontons nos idéologies à la réalité pratique, au besoin d’union sans compromis autre que l’oubli de l’identité, avec comme seul objectif l’effacement de celle-ci et le succès de la lutte.

Le punk n’as t’il pas subi ce triste sort ? Dépouillé de sa substance pour n’être qu’identité ?

Faut-il taguer des A cerclés ? N’est-ce pas retomber dans les travers de la société symboliste et cloisonnante ? Si non, pourquoi ? Pourquoi produisons nous des symboles ? Pour cimenter notre identité ou pour nous émanciper de son emprise ?

Peut-être l’anarchisme se libérera ainsi de son statut de « club » pour être une base idéologique impersonnelle de la convergence des luttes, au lieu d’un élément hautement symbolique souvent perçu comme périphérique car trop radical et supposant une certaine identité.

L’anarchie libertaire n’est pas une forme de gouvernement ou d’organisation sociale, mais un état d’esprit : elle adviendra quand plus personne ne voudra gouverner et personne n’aura besoin de l’être. D’ici là, soyons anarchistes à l’intérieur et réalistes, pratiques, tolérants, inclusifs, unitaires, au dehors.

Pas de bannières, brûlons les drapeaux, l’anarchie n’est à personne !

Note

Avec et au-delà de la lutte il y a bien sur l’établissement de nouvelles formes d’organisation solidaires qui permettent de vivre et d’incuber l’anarchie libertaire. Ces initiatives (ZAD, squats, lieux autogérés etc.) sont aussi la meilleure vitrine d’éducation populaire à un nouveau mode de vie. Ils sont l’université du post-capitalisme ! Même si la lutte se coordonne souvent autour de ces initiatives, les initiatives en elles mêmes matérialisent simplement le fait de vivre comme on le voudrais, sans attendre le consentement du capital ou de l’opinion du grand nombre et au delà d’un esprit de lutte ou politique.
Lire par exemple cette réflexion parue récemment sur PLI > Ce que peut être un réseau libre mondial.

À lire également...