Psychophobie en garde à vue - récit de ma visite chez un médecin lors de ma GAV

Le soir de la manif du mardi 14 juin contre la loi travail, alors qu’on allait boire un coup avec un ami, nous sommes interpellés par des flics dans le quartier de Belleville, tandis qu’une manifestation sauvage venait de se terminer non loin de nous. Le motif du contrôle est notre apparence vestimentaire supposée "typique de certain·e·s anarchistes". Nous subissons alors un contrôle d’identité et une fouille de nos sacs.

Étant donné que nous avions à l’intérieur de ces derniers : kways noirs, masques de peinture FFP3, lunettes de bricolage - matériel nécessaire selon nous pour se protéger des gaz lacrymogènes et autres armes de la police lors des manifestations actuelles - cela est retenu comme motif suffisant pour nous placer en garde à vue. Le motif policier : « Regroupement en vue de commettre des dégradations ». (le dossier sera finalement clôs et il n’y aura rien de plus).

Étant donné que j’ai des anxiolytiques sur moi (sans avoir l’ordonnance) et que je voudrais les prendre si nécessaire, je demande à voir un·e docteur·e espérant qu’ielle pourra me permettre d’en prendre un ou deux si je suis pris de crise d’angoisse. Je passe la nuit dans la cellule.

Ce n’est que le lendemain matin que je suis donc emmené chez un médecin en voiture. Le déplacement se fait les menottes aux poignets, les keufs font la course à travers les rues, se félicitent d’un dérapage sur deux roues (qui ne paraissait pourtant pas contrôlé), profitent du fait d’avoir croisé un musulman portant un qamis pour sortir quelques remarques islamophobes. Bref, on arrive finalement à destination. Je vois donc le médecin. L’échange, reconstitué comme je peux d’après mes souvenirs, se passe à peu près comme ça :

« - Tu as quel âge ?
- 19 ans
- 19 ans et déjà en prison, bah bravo »

L’ambiance est posée, moi qui comptais voir une présence plus rassurante que celle des policièr·e·s c’est raté.
Prise de ma tension, très basse (sûrement due à mon petit déjeuner en GAV se résumant à deux sablés et 20cl de jus d’orange).

J’explique :
« - Du coup j’ai décidé de venir vous voir car j’ai des anxiolytiques avec moi et j’en prends quand je stresse beaucoup / quand je fais des crises d’angoisses qui se manifestent notamment par de violents spasmes musculaires, j’ai commencé à en prendre lors de mon premier burn-out en décembre…
- [Il me coupe la parole] Un burn-out ? Tu fais quoi comme études ?
- Je suis aux beaux-arts.
- T’es aux beaux-arts et tu fais un burn out ? [ça semblait plus l’amuser qu’autre chose].
- Oui, on est plusieurs étudiant·e·s dans ce cas, on se retrouve souvent avec beaucoup de travail à faire sur une période très courte, c’est difficile de tenir le coup pour certain·e·s d’entre nous.
- Bah faudrait peut être travailler au lieu de manifester. Et puis heureusement que t’es pas en médecine hinhin. »

[non seulement faire un burn-out aux beaux-arts est impossible mais manifester n’est visiblement pas légitime].

J’essaie de recentrer la discussion sur mes médocs :
« - Mais du coup dans un milieu aussi anxiogène et fermé qu’une cellule de garde à vue, où on n’a pas l’heure, où on est totalement isolé·e, sans pouvoir faire quoi que ce soit, sans voir l’extérieur, j’ai peur que ça se passe mal : si je fais une crise je pourrais prendre un anxiolytique sur le moment ?
- Non.
- Mais c’est vraiment la seule solution pour que je me calme..
- Soit tu seras emmené ici, soit les pompiers devront être appelés. »

Il semble donc que quelque chose d’aussi spontané et violent que les crises de paniques peuvent bien attendre l’arrivée des pompiers ou de faire tout un trajet menotté en voiture... Je n’ai pas le temps de répondre qu’il est en train de prendre un comprimé, de me le tendre et de me dire de l’avaler.

« - Non mais je veux pas prendre d’anxiolytique là.
- Ah bon ?
- Bah non, je les prends sur le moment, c’est quand j’ai des crises / quand je stresse vraiment et là ce n’est pas le cas mais je sais que ça peut arriver dans la cellule…
- Tu le prends maintenant, le temps que ça fasse effet, ça te détendra pendant un certain temps.
- Euh d’accord, et si je fais une crise je ne pourrais vraiment pas en prendre sur le coup ?
- Non.
- … »

J’ai donc été forcé à prendre un comprimé d’anxiolytique alors que je n’en avais pas envie et que je n’en avais pas besoin, tout en étant interdit d’en prendre quand j’en aurai l’utilité. Heureusement je n’ai pas fait de crise - j’ai été libéré 7/8h après ma visite -.

Ainsi, malgré le fait de passer 20h tout·e seul·e dans une cellule toute blanche de 5m sur 2m, sans aucun contact humain, avec une caméra branchée en permanence au dessus de ta paillasse, avec juste de petites aérations en bas de la porte, sans presque rien avoir à manger, sans avoir le droit d’avoir ses lunettes, sans jamais savoir l’heure qu’il est, sans possibilité de lire / dessiner / écrire et sachant qu’on peut à tout moment perdre la tête et se mettre à faire une crise d’angoisse, on ne peut pas prendre le médicament adéquate pour se calmer alors que celui-ci est dans une pièce juste à côté. Il semble qu’il vaut mieux être en possession de son ordonnance même si ce n’est pas sûr pour autant de pouvoir prendre de prendre ce genre de médicament d’après ce que j’ai cru entendre.

Mots-clefs : répression | soin - santé

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