Pour une autonomie féministe : appel à transformer la mixité

Ce texte est une forme de compte rendu de nos discussions et a pour objectif d’abord de vous décrire, à vous hommes cis, comment vos comportements, consciemment ou pas, peuvent perpétuer des dynamiques d’oppression et de domination sexiste dans nos milieux militants.

Ce texte a été résumé devant l’AG « Automne Autonome » qui a eu lieu mardi 14 novembre, et nous souhaitions le publier en intégralité ici.

Mardi 8 novembre, nous étions environ 25 à nous réunir en non mixité. Via des expériences différentes et sous des formes diverses, nous avions toutes quelque chose en commun : toutes, nous avons souffert et continuons à souffrir du sexisme et du virilisme présents dans nos milieux militants, celui-ci compris. A cause de cela, certaines d’entre nous ont décidé de plus militer qu’en non mixité et c’est un choix qu’il faut respecter : toutefois, nous souhaitions tenter collectivement de transformer la mixité pour en éradiquer toute forme d’oppression. Notre démarche est donc la suivante : ce texte est une forme de compte rendu de nos discussions et a pour objectif d’abord de vous décrire, à vous hommes cis, comment vos comportements, consciemment ou pas, peuvent perpétuer des dynamiques d’oppression et de domination sexiste. Nous espérons que cela provoquera une prise de conscience chez vous et une remise en question honnête et effective, ainsi qu’un effort de formation personnelle de votre part sur toutes les questions que nous allons évoquer. Dans un second temps, nous voulions aussi exposer les mesures concrètes qu’il nous faut collectivement mettre en place dès maintenant pour effectivement transformer la mixité.

Du sexisme ordinaire en AG

Nous ne voulons plus que les AG soient des espaces dans lesquels le décalage entre le temps de parole des hommes et celui des femmes est si important. Trop souvent, vous nous coupez la parole, chose que vous ne vous permettriez certainement pas face à un autre homme, dont la parole est automatiquement plus légitime. Vous camouflez votre refus de remettre en question votre privilège masculin derrière de pseudo excuses idéologiques : en refusant de mettre en place un tour de parole en AG sous prétexte que ce serait déjà du stalinisme, vous refusez d’investir la prise de parole comme espace de reproduction des oppressions. Car quand il n’y a pas de tour de parole, les personnes qui parlent sont celles qui parlent le plus fort : en l’occurrence, les mecs. Combien de femmes ont levé la main pendant 20mn lors de l’occupation de l’institut de géo sans jamais pouvoir prendre la parole ?

Nous ne voulons plus nous autocensurer en AG. Même en contexte d’AG dans lesquelles la prise de parole est plus apaisée, le problème persiste : à la dernière AG, au bout d’1h30 de débat, on comptabilisait 2mn30 de temps de parole par les femmes. Ce chiffre doit entraîner une remise en question de votre part : presque toutes, nous avons à un moment donné vécu cette situation où nous avions quelque chose à dire, à proposer, ou à demander, et nous n’avons pas osé. Nous voulons pointer du doigt le virilisme omniprésent, qui entraîne une absence totale de bienveillance, un principe pourtant fondamental dans nos espaces : en AG, il s’agit d’être fort, sûr de soi, d’être toujours pertinent ; plus on est viriliste et agressif dans notre prise de parole, plus on est respecté. Plus on fait ou propose des choses dangereuses et risquées, plus on est écouté.e, et une sorte de nécessité absolue de faire ses preuves semble s’être installée, qui rend d’ailleurs l’intégration de nouvelles personnes (homme ou femme) extrêmement difficile et toute massification impossible. Chacun.e doit pouvoir se sentir libre de poser une question, même stupide, de demander un éclaircissement, de parler d’une idée dont iel n’est pas très sûr.e. Nous devons réserver la méfiance, l’animosité et l’agressivité à nos adversaires, aux flics ou aux fachos, et construire des espaces profondément bienveillants entre nous : la camaraderie et la bienveillance sont des formes de résistance politique.

Paternalisme et virilisme : deux têtes d’un même système dans le cortège de tête

Nous ne voulons plus nous autoexclure du cortège de tête à cause de votre virilisme, sexisme ou paternalisme. Plusieurs types d’expériences sont ressorties de nos discussions : certains d’entre vous remettent en cause constamment, consciemment ou non, la légitimité de notre présence dans le cortège de tête. Vous nous faites comprendre par des regards, des gestes, des attitudes, que la place d’une femme n’est pas ici, que l’affrontement et la violence sont des choses réservées aux vrais mecs ; ou bien vous cherchez à nous protéger, car nous sommes visiblement le genre faible. Nous devons bien sûr toutes et tous nous protéger collectivement et être solidaires dans les moments d’affrontement ; mais il y a différentes manières de le faire et nous ne voulons pas de vos gestes paternalistes qui semblent nous dire « là, c’est trop violent pour toi, retournes à la cuisine ». Notre rôle dans le cortège de tête n’est pas celui d’infirmière, c’est un choix pour certaines d’entre nous d’être médics mais il ne nous est pas dû ; nous ne sommes pas là pour vous rassurer ou s’occuper de vos potes blessés ; notre rôle n’est pas de vous protéger car assignées femmes, si nous le faisons c’est par choix et convictions politiques que nous avons choisi d’agir collectivement.
Dans le même temps, cette déconstruction du paternalisme doit aller main dans la main avec la déconstruction du virilisme que vous reproduisez parfois et qui met tout le monde en danger : on en arrive à un climat permanent où le meilleur militant sera celui qui aura cassé le plus de flics et où courage est devenu synonyme de prise de risques - souvent inutiles. Si nous reconnaissons tou.te.s que parfois, la violence est une nécessité politique, nous refusons que certains d’entre vous la glorifient : la violence doit rester une arme politique et ne pas devenir une fin en soi. En effet, en faisant de la peur une honte, en transformant le fait de dire « non, je ne participe pas à cette action car j’ai peur » en une faiblesse, une lâcheté, un manque de courage, non seulement nous reproduisons le virilisme, mais en plus nous nous mettons en danger puisque dire non n’est plus possible ; chacun.e doit être conscient.e des conséquences juridiques, physiques ou morales que peuvent entraîner ses actes, et choisir d’agir en fonction de cela, et pas en fonction du regard des autres. En tant que femmes, nous ressentons d’autant plus fortement cette injonction à faire nos preuves dans le cortège de tête que notre présence dans cet espace est constamment remise en question, comme expliqué auparavant. De plus, nous ne voulons plus reproduire entre nous ces dynamiques de concurrence qui sont propres au capitalisme : l’anticapitalisme passe aussi par le refus de cette mise en concurrence permanente et intégrée.
Enfin, vous devez comprendre que virilisme et paternalisme par rapport à cette question de la violence sont deux têtes du même système, et que nous refusons à la fois vos injonctions à l’usage de violence obligatoire ET votre confiscation de la violence comme un moyen d’action qui serait plus naturellement masculin. Vous devez comprendre qu’en tant que femmes, la violence n’a pas fait irruption dans nos vies avec le cortège de tête, mais que nous la portons dans nos chairs depuis que nous sommes nées, et que nous nous sommes construites avec des rapports à la violence, au corps, à l’espace et à la peur qui sont différents des vôtres, notamment en raison de la menace latente et omniprésente du viol. Nous revendiquons donc à la fois un droit à la peur et au refus libre de tout jugement de valeur, ET un droit à l’usage de violence libre de vos tendances protectrices paternalistes. Nous sommes légitimes dans notre violence, vous y êtes confrontés tous les jours à cette violence du système, étatique. Mais nous, personnes assignées femmes, sans choix, nous subissons la violence patriarcale, sexiste, viriliste ; nous déligitimer des rapports de violence revient à nous déposséder de notre combat.

Culture du viol : agresseurs et violeurs, hors de nos espaces

Nous ne voulons plus être considérées constamment comme de potentielles conquêtes : plusieurs d’entre nous constatent que lorsqu’elles tentent de construire une relation de camaraderie militante avec un mec, certains d’entre vous se placent d’emblée et constamment dans un rapport de séduction, qui n’est pas forcément désiré de notre côté. Il ne s’agit pas de dire que le désir soit à bannir, mais bien que voulons être respectées et prises au sérieux dans notre statut de militantes, considérées comme des camarades avec qui vous allez accomplir quelque chose avant d’être considérées comme une personne avec qui vous voudriez potentiellement avoir des relations sexuelles/amoureuses. Nous ne sommes pas la copine de, l’amante de, nous sommes des militantes féministes qui faisons des choix dans nos vies. De plus, nous avons le droit à choisir d’avoir ou non une vie amoureuse, sexuelle qu’elle soit polyamoureuse, monogame ; aromantique, romantique ; sexuelle comme asexuelle ; Ce sont nos choix, nous n’avons pas besoin de vos jugements ou vos approbations.

Enfin, nous ne voulons plus subir vos agressions sexuelles, votre harcèlement, vos viols. Comment pouvez-vous vous dire antifasciste, antisexistes, parfois même proféministes et nous mettre des mains au cul en manif ? Comment est-ce possible que certains d’entre vous agressent et violent ? Tout le monde le sait et personne n’en parle : il y a bien des cas d’agressions et de viols au sein de nos milieux. Les agresseurs et les violeurs en question continuent à venir en manif, en AG, dans nos espaces militants ; c’est la victime qui s’exclut. C’est le moment où vous êtes en train de penser « c’est scandaleux, mais c’est pas moi, moi je suis pas comme ça » : c’est le moment de vous remettre en question. Vous n’êtes peut être pas un agresseur, mais combien d’agresseurs couvrez-vous ? Vous n’avez peut être jamais violé une femme comme on l’imagine dans les films, au fond d’une ruelle sombre, mais êtes vous sûrs que vous n’avez jamais imposé quelque chose à une femme sans avoir son consentement explicite ? Combien de fois avez-vous minimisé les actes de vos potes ? « Roh, ça va, il était un peu relou ok, mais elle le voulait toute façon ». Nous constatons que la prise de parole de la victime est impossible et que si elle y parvient, cela n’a aucune conséquence : l’agresseur peut continuer à fréquenter nos espaces en toute tranquillité, ses potes minimisent ses actes et le protègent, et une espèce de solidarité masculine se met même parfois en place, car nous savons que certains d’entre vous font circuler entre potes des noms de meufs trop féministes, qui cassent les couilles, « surtout elle faut pas aller la draguer après elle crie à l’agression direct ». Nous dénonçons donc vos viols, vos agressions (et ça commence par la main au cul en manif ou la drague super lourde en soirée de soutien antirep), et nous dénonçons aussi votre silence complice, votre shaming permanent des meufs féministes et votre incapacité à vous former et à vous remettre en question sur ces thématiques.

Toutes ces choses là, depuis le temps de parole en AG jusqu’aux agressions, font partie du même système d’oppression sexiste et ont toutes une conséquence commune : notre autoexclusion de ces espaces militants mixtes. Certaines d’entre nous ne vont plus dans le cortège de tête car masqué.e.s, elles ne peuvent plus reconnaître ceux qu’elles savent être des agresseurs, ou parce qu’elles décident de s’éviter le coût mental et émotionnel que représente le virilisme et le paternalisme cités auparavant. Certaines d’entre nous ne vont plus en AG mixte car elles savent que tel groupe de mecs qui parlent fort et font les gros bras seront présents. Certaines d’entre nous ne fréquentent plus les bars militants ou les soirées en squat car elles savent qu’elles devront faire face à des relous. Preuve ultime de cette dynamique d’autoexclusion : nous étions 25 en AG non mixte, nous sommes 6/25 à être présentes aujourd’hui en AG mixte. Il faut que tout ça change, non seulement parce que vous vous dites antisexistes, mais aussi parce que si ça continue, vous allez finir par vous retrouver tous seuls. Nous avons donc plusieurs propositions concrètes.

Nos propositions

1. Formez vous ! : de nombreuses ressources en ligne, des textes, des vidéos. L’excuse « je savais pas », c’est plus possible actuellement dans les milieux militants. Et formez vos potes ! Ne laissez plus passer les comportements relous, même quand c’est « pour rire ». Conférence gesticulée sur le consentement, réalisée par la compagnie Les culottés du bocal. Représentation le 11 décembre à 19h à la grande salle de la bourse du travail de St Denis, contribution libre. De plus, nous souhaitons vous rappeler que si nous avons décidé de vous expliciter nos opinions aujourd’hui et de vous conseiller des ressources de formation, nous ne sommes en aucun cas tenues de le faire, et nous n’avons aucune obligation d’assumer la charge organisationnelle, émotionnelle et mentale de votre formation. Lisez de la théorie, écoutez les femmes de votre entourage, posez des questions à vos amies concernées si vous avez un doute ! On vous distribue une liste de ressources et on les publiera avec ce texte sur paris lutte info. Ne vous taisez plus en cas d’agressions,

2. Tour de parole et tribune : nous souhaitions prendre en charge le tour de parole de cette AG, en nous donnant le droit de faire remonter des femmes avant des hommes si l’on constate une trop grande inégalité dans la distribution de la parole, et d’interrompre une prise de parole qui serait agressive/viriliste/sexiste, etc. Nous souhaitons qu’un tour de parole soit systématiquement mis en place en AG et nous voulons aussi rappeler l’importance de la bienveillance entre nous en AG, l’idée qu’il n’y a pas de question bête. Nous décidons aussi qu’à chaque AG, nous allons chronométrer le temps de parole pris par les mecs/les meufs et annoncer à tou.te.s le résultat en fin d’AG, en espérant que ce résultat s’améliore peu à peu. Nous voulons aussi préciser à l’intention des participant.e.s non mecs cis de l’AG que notre intervention n’est en aucun cas une injonction à prendre la parole qui leur serait adressée, mais bien une tentative de construction d’une ambiance bienveillante dans laquelle ces personnes pourraient, si et quand elles le veulent, prendre la parole sereinement.
Nous rappelons également à chacun qu’il est important de faire attention au temps de son intervention et aux répétitions inutiles, souvent le fait de mec cis (il a été démontré que même si dans une AG le nombre d’intervention mecs/meufs commence à s’équilibrer en chiffres absolu, le déséquilibre en terme de temps est plus difficile à résorber, les mecs parlant en moyenne plus longtemps que les meufs).

3. Nous proposons de réfléchir collectivement aux choses suivantes :

  • En cas de propos sexiste, inventer un signe silencieux pour inviter la personne à reformuler sa phrase ;
  • rappel régulier des temps de paroles ;
  • plusieurs personnes qui prennent les notes ;

4. Enfin, nous voulons rappeler que désormais, nous ne laisserons plus rien passer et construisons une vraie sororité entre nous, notamment contre les agresseurs. Nous avons constitué une liste mail non mixte (inscrivez vous sur la feuille si vous souhaitez la rejoindre) qui nous servira à nous organiser ponctuellement (par ex autre AG non mixte ou éventuellement actions antisexistes) mais aussi à faire circuler entre nous les identités des agresseurs pour nous défendre collectivement. Que chaque personne puisse venir nous voir en personne ou via la liste mail, en son nom ou anonymement, si elle a subi une agression.
Sachez que la parole de la victime/survivante est écoutée, elle primera toujours sur le reste.

Pour conclure, nous espérons que vous saurez comprendre notre démarche pour ce qu’elle est : avant tout la réponse à une urgente nécessité de nous protéger entre nous et de changer les espaces qui ne sont pas safes pour nous, mais aussi la volonté d’aller plus loin collectivement et de devenir meilleurs tou.te.s ensemble, car nous savons tou.te.s que la révolution sera féministe ou ne sera pas !

Liste de ressources pour se former :

Mots-clefs : anti-sexisme | femmes
Localisation : Paris

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