Porcherie

Justice pour Théo. Exposé de la porcherie ambiante autour du viol par la police d’un jeune de banlieue.

Rien à voir avec le véganisme. Ou plutôt si : une porcherie, en vrai, c’est propre. Les porcs sont cools. Ils ne se détestent pas, ils ne se violent pas. Leur fange est de la bonne vieille terre. Notre fange est de la haine.

Classe contre classe. Police contre Théo. Théo a perdu, évidemment. Théo est jeune, il est noir, il est banlieusard, il est pauvre, et il s’est rebellé. Je ne fais pas de l’essentialisme. Je liste les raisons de la haine. Théo a été blessé dans sa chair, certes, mais une humiliation d’ordre sexuel, un viol, ça laisse des cicatrices bien plus profondes dans l’âme que dans la chair. Pour l’instant, il semble s’en remettre plutôt bien. C’est souvent le cas dans un premier temps, mais la chair meurtrie se réveille, le souvenir couve, et je crains que plus rien ne soit pour lui comme avant.

Tous les policiers ne violent pas, bien sûr. Même si j’imagine que les faits sont plus fréquents qu’ils ne sont rapportés. Après tout : auprès de qui porter plainte ? Le collègue solidaire du violeur ? Le procureur qui ne lui requiert jamais plus qu’une petite peine symbolique avec sursis ? Les institutions républicaines en somme ? Eh bien non. Pas les institutions républicaines. Pas celles-là. Pas pour ces gens-là. Pas pour Théo.

Ils n’en viennent pas tous au viol, mais leur libido semble les titiller. Ça gigote dans les slips. Les récits sont fréquents de menaces de viol, de menaces de castration, de menaces ou de coups dans les parties génitales. C’est vrai, pour être policier, il faut être viril. Les méchants sont méchants, or c’est viril d’être méchant, donc il faut être plus viril que les méchants. En plus, les noirs, ça a une grosse bite, c’est bien connu, tout le monde sait ça. Doublement virils ! Doublement méchants ! Donc il faut les dominer doublement virilement.

La République est-elle virile ? Doit-elle l’être ? C’est si lassant le virilisme. Si gris. Si laid. Si faible.

Quatre policiers réussissent l’exploit de commettre un acte de torture sexuelle inhumaine et dégradante en proférant des injures racistes, homophobes, et sexistes. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, en France, en 2017. Pangloss est secrétaire d’un syndicat de policiers. « Bamboula c’est encore à peu près convenable. » Non Pangloss, ce n’est pas à peu près convenable.

Que veut dire cet enrobage ? L’acte en lui-même est l’humiliation sexuée pour assurer une domination viriliste et remettre le jeune noir à sa place attitrée dans cette société, dans cette République : sa place de dominé, et de dominé docile. Mais les injures qui l’accompagnent ouvrent une fenêtre plus large. Elles laissent entrer d’autres odeurs nauséabondes, comme si on en manquait.

« Fiotte », « bamboula », « salope ». C’est l’ordre moral. La police ne défend pas l’ordre public, elle défend l’ordre moral. Elle défend les dominations, elle les perpétue, elle les renforce, elle les nourrit, elle s’en nourrit, et elle les régurgite par des injures et des actes dont elle jouit de l’impunité. Si je suis un policier viril et que je viole un homme, cet homme est un homosexuel, il le mérite, et il est donc faible et dominé, faible et à dominer. Si je suis un policier blanc – ça marche aussi avec des policiers racisés qui se blanchissent l’uniforme en se noircissant l’âme – et que je trouve qu’un noir ne me revient pas, ou qu’il parle un peu trop, ou qu’il semble être en train de manigancer quelque chose à rigoler comme ça avec ses copains, je dois le remettre à sa place de race inférieure, qu’il n’aurait jamais dû quitter. Et si j’ai violé un homme, c’est un homosexuel, donc c’est une femme, faible, qui doit aussi être remise à sa place de dominée. Le grand chelem de l’abjection. Les Trois mousquetaires de la haine. Et les Trois mousquetaires étaient quatre…

Quatre policiers violent donc un jeune noir – je dis quatre violeurs, car à ce niveau c’est de la complicité, qui de mieux qu’un policier devrait savoir identifier ce qu’est un viol et savoir que son boulot, son premier boulot, son unique boulot même, c’est de l’EMPÊCHER, PAS DE LE COMMETTRE ! – et notre classe politique – notez le mot classe – ne sait trop que dire ni que faire. Elle oscille entre soutien aux policiers, ou dénonciation de l’acte, œuvre de mauvais policiers, qui doivent en être écartés pour préserver le reste de la police républicaine. Sauf que non.

La police viole. Pas un policier. Pas un déséquilibré. Pas un pervers. Enfin si, un pervers. Enfin non, quatre pervers. Mais parmi des milliers. La statistique est impitoyable. Si les quatre policiers d’une même patrouille en viennent à une telle barbarie, si l’un d’entre eux commet une telle atrocité immonde sous le regard consentant – voire concupiscent ? – de ses trois collègues dont aucun ne peut ignorer ce qu’il est en train de faire et aucun n’esquisse le geste de l’en dissuader, ça fait quatre pervers, et le fait qu’ils soient dans la même patrouille veut dire qu’ils sont des milliers ailleurs, partout, forcément. On n’en trouve pas là quatre par hasard dans la même patrouille et zéro partout ailleurs. C’est systémique, c’est systématique.

Alors il faut remettre en cause un système. Le mot à la mode. Oui, non, d’ailleurs, on va l’oublier celui-là, il ne veut plus rien dire. Du tout. Enlevons-le du dictionnaire. Il faut remettre en cause des fondements, des procédures, des fonctionnements, des organisations, des collectifs, et une logique de domination. Ça fait beaucoup ? Ben oui. Rien que le capitalisme quoi.

Oui, quatre policiers qui violent un jeune noir pauvre en banlieue en proférant des injures racistes, homophobes et sexistes, c’est le paroxysme du capitalisme. Même Trump c’est le degré en dessous. C’est la fin qui justifie tous les moyens pour perpétuer toutes les dominations et toutes les soumissions, toutes les oppressions et toutes les frustrations, pour faire en sorte que les puissants ou ceux qui sont faibles avec les puissants aient toujours plus de pouvoir que les opprimés, même ceux qui luttent.

Alors que faire ? Socialisme ou barbarie ? Ok. Mais pense-t-on une seule seconde, une seule petite seconde, sérieusement, que le « socialisme » d’un Mélenchon ou d’un Hamon qui se gargarisent de République pourra et surtout voudra une seule seconde s’attaquer aux racines du mal ? Pense-t-on un seul moment que le « socialisme » d’un Mélenchon ou d’un Hamon réussira, plus que celui d’un Hollande, à renverser la tendance quand ils croient au conte de fées que la police républicaine protège plus la République que la bourgeoisie ? On est au moins permis d’en douter.

C’est pourquoi les banlieues s’embrasent. C’est pourquoi la police grimpe d’un cran et tire à balles réelles, en l’air, pour l’instant. Jusqu’au vote par les « socialistes » de la loi en discussion qui leur permettra de tirer en disant « il a couru quand je lui ai dit de pas courir ». Ces banlieues, ces jeunes, ces pauvres, ces gens racisés, on ne peut pas leur dire « 2017 est là, quelle chance ! Glissez le bon papier dans l’urne, et tout ira mieux ! » Rien n’est jamais allé mieux ! Pas à Aulnay ! Pas à Montfermeil ou à Clichy-sous-Bois ! D’ailleurs un certain nombre n’ont même pas le droit de glisser un petit papier dans l’urne, mais pour ce que ça leur servirait !

Donc c’est l’émeute. Ça commence à être récurrent non ? Finalement, face à la porcherie, les agneaux ne veulent peut-être pas finir à l’abattoir.

Aucun porc n’a été maltraité pour l’écriture de cet article, pardon aux familles des porcs, tout ça. Aucun flic non plus n’a été maltraité. Juste des pauvres gens.

Localisation : Aulnay-sous-Bois

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