Pastiche, lecture critique

La phrase est bien tournée, la forme nouvelle, le numéro 0 de PASTICHE a paru absolument intéressant pour éclairer la critique que nous devons avoir de ces milieux anti-autoritaires, aussi fantomatiques soient-ils. Cette lecture a pour but de permettre la continuité de la discussion lancée par ce numéro 0, en résonance avec les analyses déjà menées par le projet Propagande Expérimentale.

Beautés

« Le capitalisme – cette notion vintage aujourd’hui hors-propos- ne se heurte plus à aucun pourquoi. Les plus courageux lui attribuent bien quelques défectuosités, les plus sournois quelques insuffisances, les autres divaguent sur la croissance, la démocratie participative, le revenu d’existence, le tirage au sort, quelques crétins encore sur le « mondialisme » ou les illuminatis, rarement sur son hégémonie et ses conséquences – démodé-. »

Voilà enfin quelques phrases dans un texte politique contemporain qui reflète un semblant de la situation politique et sociale actuelle, sans ressasser éternellement les mêmes leitmotivs.

« Aux ragots, qui font l’essentiel de nos conversations quotidiennes »

Voilà une proposition des plus justes. Nous (la communauté anti-autoritaire que je fréquente et moi) passons bien trop de temps à nous positionner par rapport à d’autres groupes plutôt qu’à propager la révolte et inclure de nouvelles personnes.
Il est certes nécessaire de s’allier en ces temps bien obscurs, mais pourquoi faire ? Regardons ce qui a été fait lorsque la compagnonne a été incarcérée à Fleury en novembre : quasiment rien. Je pense qu’il est nécessaire de penser collectivement à nos objectifs, nos stratégies et nos tactiques.
Il est de fait que les dissensions existent et continueront toujours d’exister. Mais nous travaillons toutes et tous à les amplifier, à les traduire en tradition, à en faire des a priori et à nous enfermer dedans.

Doutes

« Des rictus crispés, des absences dans la rétine, des attentes suspendues aux gadgets numériques, aux torchons gratuits qui circulent des prunelles aux consciences, des consciences aux ordures, résidus de mémoires dans le fond des décharges. La raison, polluée ; chaque matin. »

« On renifle la mort dans toutes les rues marchandes, dans tous les centres commerciaux, dans tous les musées, toutes les attractions monnayables ou à prix libre. Et pourtant, les grimaces en forme de sourire semblent fleurir sous chaque aigreur répétée, sous chaque épreuve manquée, chaque défaite banale… prétendre à la joie – triomphe du masque et de l’uniforme – accorder à la configuration du réel un caractère immuable, naturel, évident, sans pourquoi. »

Plus loin :

« Les prétendants et prétendus révolutionnaires de notre ère ne disposent pas de l’exemplarité vantarde qu’iels se targuent de prémunis de l’ignoble, iels ne sont que les éclaireurs/éclaireuses d’eux-mêmes, ce pourquoi sûrement, iels se confortent et se consolent dans la plus obscure des pénombres. »…

Encore une fois, terriblement, comme dans presque tous les textes contemporains, quelqu’en soient leurs auteurs, ce même souci : les contradictions s’enchaînent et se ressemblent toutes.

Ici, la critique de la société du spectacle, un peu réchauffée mais effectivement toujours très juste produit précisément ce que le reste du texte dénonce : une distanciation élitiste, un mépris du contemporain, de la basse distraction du mortel commun. Son cours de Yoga, son goût de l’habit, ses petits fantasmes réformistes.

Les êtres humains sont médiocres, et il n’y a pas une seule révolution qui puisse changer cela. Inutile d’en dénoncer les bassesses, elles seront toujours là. Il n’y a pas de groupe qui n’ait de craderie à son actif, il n’y a pas de personne investie qui ne devienne un petit chef, il n’y a pas d’être humain sans défaut, sans amour du spectacle. C’est plutôt à partir de ce constat que nous devons travailler à la transformation politique du monde qui nous entoure, nous avec. Lutter contre les rapports d’autorité, mettre en avant nos valeurs, ne jamais les perdre de vue, rechercher les moments vrais, et fuir les bassesses consuméristes.

Mais la critique de cette société ne doit pas mépriser ceux qui y participent. En chaque endroit, nous avons des allié-e-s : le vendeur du magasin de cosmétique, la jeune fille dans la bête association caritative, la dame de la CAF. Nous même avons besoin de manger, et nous n’en restons pas moins des allié-e-s pour nos compagnons. La critique de la société du spectacle ne se fait connaître que par le spectacle lui-même.

« Activiste martyre ou virilisme insurrectionnel, ascétisme de récupe, discours incantatoires et burn-out sacrificiel, plus proche de la doctrine sociale de l’église que d’une ébauche subversive, le tout, sous la cloche précaire de l’estampille « radicale ». »

Ne revenons pas sur le fait que cette citation entre en contradiction complète avec le mépris du commun décrit par la diatribe des premières pages sur la société spectaculaire-marchande.
Revenons cependant sur la sempiternelle critique de l’estampille « radicale ».
Depuis ces 10 dernières années, pourriez-vous m’indiquer ce que vous appelez la posture radicale ? Je ne vois de radicalité nulle part autour de moi. Jouons-nous à croire qu’une vitrine étoilée ait quoique ce soit de viriliste, d’insurrectionnel ou de radical ? Le texte lui-même le dit d’ailleurs quelques lignes plus loin « Car l’émeute – cet indispensable baptême de contre-sommet – simule une offensive que seuls les médias parviennent encore à romantiser ». Personne ne voit là de la radicalité. Il s’agit plutot de « l’opportunité de jouir d’un ravage ». J’aurais même été jusqu’à dire qu’il s’agisse du geste primitif de la révolte. Lancer un projectile contre la police, n’a jamais été révolutionnaire en soi (y a-t-il des actes révolutionnaires en eux ?), mais c’est le premier soubresaut de la révolte. Avant les discours, mais aux côtés du pillage, bien avant un sabotage ou une révolution. Il n’y a rien de radical là-dedans. Y participer non plus. C’est juste la nécessité retrouvée de celui, de celle qui chaque jour courbe un peu plus l’échine. La nécessité de ne plus se taire, et de jouir, oui de jouir de la rébellion spontanée.

D’ailleurs il n’y a rien non plus de « radical » de penser qu’il soit nécessaire de bouleverser la société contemporaine. C’est juste avoir un peu d’analyse. Penser que cela soit « radical », c’est précisément faire le jeu de la réaction, cherchant à nous faire passer pour des illuminés : « radicaux ». Ainsi, s’il n’y a rien de « radical » dans le geste lui-même, son folklore lui-même ne me semble plus « radical » non plus. C’est l’image à laquelle se raccrocher, processus bien connue des communautés isolées, qui se referment de plus en plus qu’on les écarte de nos pairs. Ce folklore c’est une forme de communautarisme, que nous pouvons dénoncer, mais que nous pouvons aussi parfaitement comprendre.

Quant à savoir si « la puissance du feu n’est que défensive », je m’en remets à penser qu’il n’y ait aucune pratique qui soit offensive, en l’état actuel de nos mondes imaginaires et de pratiques concrètes. Nous ne faisons que refuser, par soubresaut, désespérément, la soumission quotidienne. Seule la foule, déterminée, immaîtrisable pourra jamais être la force offensive nécessaire à un bouleversement révolutionnaire.

Ce texte, parfois délicat et parfois caricatural, comme nous le sommes toutes et tous, est une belle introduction à la lecture des mondes actuels. Mais son absence de propositions concrètes et discutables par la communauté anti-autoritaire le place dans le commun des textes critiques sur les milieux, et l’empêche d’être l’outil absolument nécessaire pour inventer de nouvelles formes de résistances.

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Mots-clefs : anarchisme | journaux, revues

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