Nouvelle brochure : « Mais les anarchistes ne votent pas ? », par Alfredo M. Bonanno

Une brochure vient de paraître aux éditions Tout mais pas l’indifférence : un texte publié la première fois en juin 1995 dans la revue anarchiste italienne Canenero, à lire et télécharger sur infokiosques.net.

Ce texte d’Alfredo M. Bonanno, publié la première fois en juin 1995 dans Canenero, constitue une attaque contre le vote, mais aussi contre l’abstentionnisme comme posture passive.

Extraits :

Se dire anarchiste veut dire beaucoup, mais cela peut aussi ne rien vouloir dire du tout. Dans un monde d’identités faibles, quand tout semble s’estomper dans le brouillard de l’incertitude, se considérer anarchiste peut être une manière comme une autre de suivre un drapeau, rien de plus.

Mais parfois l’anarchisme est une étiquette inconfortable. Il peut te mettre des questions dans la tête, auxquelles il n’est pas facile de répondre. Il peut te faire remarquer les étranges contradictions de ta vie : le travail, le rôle que la société t’a imposé, le statut auquel toi-même tu participes, la carrière à laquelle tu n’arrives pas à renoncer, la famille, les amis, les enfants, le salaire en fin de mois, la voiture et la maison dont tu es propriétaire. Pauvre de moi, fixer une distance entre ces attributs et ses idées fondamentales, entre ce que nous sommes et l’être anarchiste, cela ressemble beaucoup à cette lutte entre l’être et le devoir-être qui faisait sourire Hegel : le devoir-être perd toujours.

Du coup, nous sommes anarchistes parce que nous lisons les journaux anarchistes, parce que nous considérons la pensée et l’histoire anarchiste comme notre pensée et notre histoire. Nous sommes anarchistes parce que nous nous abritons dans le mouvement, à l’abri des intempéries de la vie, parce que nous le considérons comme notre maison rassurante, parce que nous aimons voir les visages des compagnons, écouter leurs petites histoires domestiques et leur raconter nos petites histoires domestiques, le tout à répéter à l’infini – et ainsi soit-il.

Si quelqu’un pose des problèmes, pas tellement avec sa langue plus ou moins acérée, mais avec les choses qu’il fait, en mettant en danger cette position rassurante, cette sensation de protection, de se sentir comme chez soi, alors nous le rappelons à l’ordre, en lui listant au grand complet les principes de l’anarchisme, auxquels nous restons fidèles. Et, parmi ceux-ci, il y a celui de ne pas aller voter. Les anarchistes ne votent pas, sinon quels anarchistes seraient-ils ?

Tout est bien clair et lisse. Et pourtant, notamment ces derniers temps, ont été avancées des objections, des perplexités.

Quelle signification y-a-t-il dans le fait de ne pas aller voter ? Il existe une signification, ils ont répondu en chœur, spécialement parmi les plus âgés. Parce que voter c’est déléguer et les anarchistes sont pour la lutte directe. Joli, dirais-je, très joli.

Mais quand cette lutte consiste seulement dans le fait de témoigner de ses principes (donc également son abstentionnisme), et rien de plus, quand cela consiste dans le fait de se retirer en étant mal à l’aise quand quelques compagnons décident d’attaquer les hommes et les réalisations du pouvoir, ou bien consiste dans le fait de rester silencieux face aux actions des autres, quand c’est cela la lutte, eh bien, alors autant aller voter.

Pour ceux qui considèrent l’anarchisme comme le tranquille gymnase de leurs opinions (et de celles d’autrui) sur un monde qui n’existe pas – et n’existera jamais – tandis que pour eux les jours se suivent l’un après l’autre dans la grisaille monotone des matins tous identiques, des gestes tous identiques, des travaux, affects, hobbies et vacances tous identiques, pour ces derniers, quel sens y-a-t-il à s’abstenir, si ce n’est de réaffirmer, à peu de frais et avec assez de clarté, leur identité anarchiste ? Cependant, à bien y regarder, si leur anarchisme est seulement cette enseigne poussiéreuse et ridicule, dans un terrain de certitudes monotones et escomptées, il vaut mieux se décider à aller voter. Leur abstention ne signifie rien.

(...)

Il reste de nombreux autres anarchistes. Il reste ceux pour lesquels leur anarchisme est un choix de vie, pas une conception à opposer, dans un tragique et insoluble oxymore, aux mille problèmes d’apparence que la société codifie et impose.

Pour ces compagnons, l’abstention est seulement une des nombreuses occasions de dire « non ». Leur action anarchiste se réalise dans bien d’autres faits et ce sont justement ces faits qui donnent une lumière et une signification différente à cette façon de dire « non ».

A lire en intégralité sur infokiosques.net. À télécharger en PDF au format cahier imprimable/photocopiable et au format page par page.

Note

Texte publié la première fois en italien dans le n°29 de Canenero (2 juin 1995). Traduit et publié en français par le site Attaque en mars 2017.