MigrantEs : ces manèges de mort...

La couverture dans laquelle il est emmitouflé lui fait comme un grand manteau coloré. Il est au centre d’un grand cercle de 150 personnes. Des migrants dans leur quasi-totalité. Il est comme le maître de cérémonie. Il sélectionne la musique sur son téléphone qu’il colle à un mégaphone. Et la danse commence.

Nous sommes dimanche soir 20 décembre sur la place de la République. Il est plus de 22h00. La police, autour, n’est intervenue que pour refuser toute bâche, toute tente, toute banderole. Comme une histoire qui bégaie. Car depuis la veille, à la fin de la manifestation qui a rassemblé plusieurs milliers de personnes en solidarité avec les migrants, environ 150 migrants ont décidé de s’installer là pour ne plus être à la rue, exiger un hébergement.

Quel symbole ! Quelle résilience encore ! La dernière évacuation d’un campement de lutte, avant les attentats, avant l’état d’urgence, c’était ici, le vendredi 13 novembre. Le matin même des attentats. Et ce retour sur la place c’est le meilleur hommage aux victimes, la plus grande résistance : la vie continue et la bataille pour l’égalité. Et ce sont encore les migrants qui en sont la pointe avancée. Quand tant d’autres hésitent ou reculent.

il y a un autre symbole sur cette place qui commence à en être surchargée. Un symbole du cynisme absolu du pouvoir s’il est volontaire. Ici, sur cette place, à l’endroit où se tenait le campement des migrants avant les attentats, un manège a été installé, un carrousel. Exactement comme un manège identique avait été installé après la dernière évacuation sur la halle Pajol fin juillet [1]. Un manège avec des voitures, des trains, des chevaux, ces moyens de voyager, de circuler. Pour occuper la place des migrants à qui, justement, on interdit de circuler. Un manège où circuler c’est juste tourner en rond.

Mais, ici, la danse des migrants est un défi au manège du pouvoir. Une invitation à la lutte et à la solidarité. Car l’état d’urgence est le début de l’extension à toute la société du système des frontières, de l’interdiction de circuler faite aux migrants.

C’est Noël sous état d’urgence. La semaine dernière un foyer de travailleurs a été envahi par la police, les sans-papiers arrêtés et certains envoyés au centre de rétention. À Calais le scandale continue. Et la semaine dernière, trois cadavres ont été retrouvés sur les côtes turques dont deux enfants. Un jour plus tard 5 réfugiés mourraient noyés puis 18 autres deux jours après. L’ONU a annoncé plus de 5000 morts en 2015.

Pendant ce temps un mini sommet a eu lieu à Bruxelles. Sur les 22 000 migrants que l’UE s’était engagée à accueillir en juillet seulement 600 ont fait l’objet d’une « réinstallation ». Sur le plan adopté en octobre de « relocalisation » de 160 000 réfugiés, seulement 184 personnes étaient concernées au 16 décembre... Les pays européens incapables de se mettre d’accord sur rien ont décidé... de se réunir à nouveau en février. La seule décision a été d’entériner la volonté de la Suède de ne plus accueillir de migrants !

Le 23 janvier nous irons à Calais. Le même jour les mouvements grecs et turcs manifesteront à la frontière entre leurs deux pays. Pour réclamer la fin de ce scandale. Pour réclamer l’ouverture des frontières. Pour se battre, aux côtés des migrants, pour la fin de ce système qui est en train de tous et toutes nous étouffer. Pour que les manèges ne deviennent pas symboles des prisons. Pour que les enfants puissent se dire qu’ils sont le symbole des voyages qu’ils feront plus tard. Librement...

Denis Godard, 21 décembre 2015

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