Manifestation du 14 juin à Paris - Une analyse tactique

Ce texte a pour but d’apporter une contribution sur nos tactiques collectives en manifestation, et d’analyser à froid la manifestation du 14 juin pour réfléchir à ce que l’on pourra améliorer la prochaine fois. Car il y en aura une.

Le 14 juin, on a vu un million de personnes dans les rues de Paris, venues de partout en France et même d’autres pays. C’était une démonstration de force contre la Loi Travail et son monde. Mais pour beaucoup d’entre nous, ça a surtout été des courses, des bousculades, des moments d’adrénaline, des discussions, des blessures parfois, de bons souvenirs souvent, et des moments intenses toujours.
Avec quelques jours de recul, il semble important de prendre le temps de la réflexion pour améliorer nos tactiques. Pas de grande réflexion sur la stratégie ici, pas de débat moral sur la violence, restons en au concret : ce texte s’adresse à celles et ceux qui ont fait le deuil du pacifisme.

Pour commencer, quels sont les points positifs et négatifs du 14 juin ?

En positif, signalons : le nombre et la détermination des participant-e-s au cortège de tête, la mixité, le matériel offensif qui a dissuadé pas mal de charges de flics, l’efficacité des médics, les bons réflexes de solidarité envers les blessé-e-s, la décoration impressionnante (grands drapeaux, banderoles imaginatives, fumis, chariots...).
Et pour le négatif, listons : les mouvements de foules vraiment angoissants, la casse pas pertinente (sans parler de Necker, la destruction systématique de toute vitre sans regarder la proximité des condés ou la densité du cortège), le manque de banderoles pour serrer le cortège, le manque d’organisation collective, les tirs de projectiles trop proches des camarades, et l’absence de bâtons/drapeaux courts pour résister aux charges et former des lignes solides.

Quels sont nos objectifs ?

Est-ce que l’on organise un cortège, en prévoyant des groupes et du matériel, en prenant des risques, seulement pour viser des enseignes commerciales et des armures de flics ? Dans une manif’ aussi nombreuse et déterminée, on peut viser mieux : par exemple, traverser les lignes de police à un endroit intéressant pour atteindre un objectif (ne serait-ce que pour lancer une manif sauvage). Ou obtenir une victoire symbolique contre la police. Ces moments, on les espère toutes et tous, mais il ne faut pas les attendre, il faut les préparer.

Face à nous, quelle tactique policière ?

En terme de doctrine, on était toujours dans le combo « maintien à distance/attaque brusque à des moments choisis » : la police anti-émeute a pratiqué des charges violentes avec la BAC en seconde ligne. Les gazages ont été massifs (heureusement, beaucoup de personnes étaient venues préparées). Les tirs de flashballs et de grenades de désencerclement ont fait beaucoup de blessé-e-s, surtout aux Invalides. Mais on remarque aussi que la BAC ne s’est pas trop montrée avant la fin du corège et a évité de se mettre en danger. Les canons a eau ont été peu efficaces : à part l’impact psychologique, ils ont été utilisés contre des cortèges dispersés et des petits groupes.
La police n’a pourtant jamais été vraiment mise en échec, aucune ligne sur le parcours de la manif n’a été percée pour accéder à une rue bloquée ou faire courir les bleus.
La tactique des flics a encore une fois été de diviser le cortège et de le nasser si possible. Les interpellations ont eu lieu durant ces charges et surtout à la fin, dans un espace ouvert où la BAC était à l’aise (et nous, moins).

Pour la suite

Pour résister aux violentes charges des CRS et des GM, on aurait pu prévoir des lignes plus compactes, moins démunies (pensons à amener de solides drapeaux à distribuer) et capables de résister. Contre la BAC, quelques œufs peuvent suffire à leur rappeler qu’ils ne sont pas invincibles. Ne nous laissons pas entrainer sur des esplanades où les flics sont trop à l’aise, ni dans des rues puant la nasse.
Concernant les projectiles les plus « spectaculaires », ils ont été lancés dès le début du cortège, ce qui a immédiatement mis la barre très haut en terme de conflictualité. En positif, cela a aussi permis de casser certaines charges. Se concentrer et insister collectivement face aux lignes de CRS statiques empêchant d’emprunter une rue pourrait être intéressant.
Pour obtenir plus de victoires tactiques, il nous reste donc essentiellement à nous équiper en conséquence, et surtout à améliorer notre coordination, notre intelligence collective. Les flics sont vulnérables, de dos ou en mouvement. Ils le savent et jouent énormément sur la terreur, sur les attaques psychologiques (charges brusques, grenades, gaz...).
A nous d’être à la hauteur pour la suite !

Note

Issue d’une expérience personnelle et de quelques discussions, ce texte a pour but de (re)lancer le débat sur nos tactiques collectives, que ce soit en groupe réduit ou avec tout le cortège. Mais la réflexion n’a d’intérêt que si elle est appliquée au terrain, ce sera donc la pratique qui nous permettra de nous améliorer !

Localisation : Paris

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