Manif du 22 novembre : prolongation en correctionnelle pour participation à manifestation interdite

Le 22 novembre 2015, une manifestation de solidarité avec les migrant-e-s interdite au nom de l’état d’urgence s’est tout de même tenue. Mais, pas très fair-play, la préfecture de police en a profité pour vouloir mettre certains de nos camarades hors jeu. Compte-rendu d’un procès qui s’est tenu dans ce cadre le vendredi 24 juin au TGI de Paris.

Le soir des attentats du 13 novembre, l’État décide de proclamer l’état d’urgence ce qui permet entre autres d’interdire toute manifestation revendicative tout en continuant d’imposer des lois de plus en plus répressives et régressives. Le 22 novembre, une manifestation de solidarité avec les migrant-e-s se tient malgré son interdiction grâce à la détermination d’un bon millier de personnes. Ne voulant sans doute pas créer un précédent, dès le lendemain, la préfecture de police bombe le torse et balance au procureur de la République les noms de 58 personnes soit-disant identifiées sur la base de vidéos mises en ligne le soir même sur internet et sur la base de fichiers de police (voir à ce sujet cet article)
Parmi ces 58 personnes, beaucoup choisissent de ne pas se rendre aux convocations et n’ont plus eu de nouvelles par la suite. La plupart de celles et ceux qui s’y rendent ressortent sans rien après un interrogatoire, mais dans ce vilain jeu du « 1, 2, 3 ce sera toi », trois personnes sont placées en garde-à-vue. A chacun de ces trois finalistes est attribué un petit trophée différent :

  • un rappel à la loi interdisant de participer à une manif interdite pendant un an
  • une inculpation pour violences sur agent
  • une inculpation pour « participation à une réunion de nature à provoquer le désordre » et refus de signalétique.
Manifestation pour les sans-papiers et contre l’état d’urgence, 22 novembre 2015 Paris

Le vendredi 24 juin, notre camarade Marcus était donc convoqué devant la 24e chambre correctionnelle du TGI de Paris pour recevoir son prix pour participation à manifestation interdite et refus de prélèvement ADN et signalétique. Comme le 22 novembre nous étions une belle et grande équipe, il était bien sûr hors de question de le laisser y aller seul !
D’autant, qu’en cette période où l’État transforme nos manifs en ridicules petits tours de manège pour moutons bêlants où on nous pique même nos écharpes et notre sérum phy, ce n’est pas si évident de comparaître pour avoir participé à une manifestation interdite. L’avocate de Marcus, Irène Terrel, rappelle d’ailleurs en début d’audience qu’il faut resituer les accusations dans le contexte de novembre 2015 et se détacher de la situation actuelle.

La juge commence pourtant la lecture du dossier en insistant lourdement au préalable sur le fait que dans cette affaire un commandant de police a été victime de violences volontaires. Elle précise que bien que ce commandant ait reconnu et désigné son agresseur au maréchal des logis à l’arrivée de la manifestation, ce dernier n’avait pas pu être interpellé. En effet, il se serait « mélangé aux personnes présentes sur la place de la République pour se recueillir suite aux attentats pour s’échapper ». Sachant qu’est évoquée là une autre personne et que Marcus n’est accusé que de participation à une manifestation interdite, on ne voit pas trop ce que ça vient faire là... Pourtant, plusieurs fois au long de l’audience la juge et la procureure ressortiront du dossier ces « manifestants, qui, sur la place de la République se mélangent aux personnes qui se recueillent et sont en pleurs empêchant ainsi la police d’intervenir et de procéder à des interpellations ».

Dans le dossier que lit la juge, plusieurs choses semblent ne pas avoir de rapport avec ce dont Marcus est accusé. Ainsi, il est noté que le prévenu a participé à la marche de la dignité et contre le racisme le 31 octobre 2015. Cette manifestation publique et autorisée qui a rassemblé environ 5000 personnes s’est tranquillement déroulée. On se demande donc légitimement ce que cette précision émanant sans doute de l’un des sombres RG qui étaient sur le bord de la manif du 31 octobre à prendre des photos, vient faire dans ce dossier et dans la salle d’audience.

On passe ensuite aux auditions pendant la garde-à-vue et au refus de répondre à des questions autre que celles sur l’adresse et l’identité. Il est implicitement reproché à Marcus d’user de son droit à garder le silence. Comme le rappellera l’avocate de la défense, garder le silence « C’est étrangement un droit qui devient une charge pour ceux qui l’exercent. Alors faut savoir, si c’est un droit qui se retourne contre vous, ce n’est plus un droit ! » Qui s’y intéresse ou y est confronté-e se rend vite compte que la justice n’a pas peur des contradictions et que ces contradictions il est toujours bon de les pointer et de ne pas se laisser intimider en renonçant à notre droit à garder le silence en garde-à-vue… Rappelons nous que ce droit à garder le silence fait partie du pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifiés par des des dizaines de pays dont la France et c’est surtout le droit à ne pas s’auto-incriminer. En effet, se taire se n’est pas une posture, c’est éviter de dire des choses qui pourront être retenues contre nous ou d’autres personnes qui étaient avec nous.

En tout cas, face à la justice, Marcus n’a pas choisi de se taire. Calmement, il assume le fait d’avoir participé à cette manifestation et rappelle son contexte : la lutte pour les droits des migrants et migrantes, lutte sur laquelle il est investi depuis plus d’un an. Il évoque les conditions de vies des personnes qui vivent sur les campements d’exilé-e-s et qui, de plus, suite aux attentats ont été pointées du doigt comme de potentiels terroristes.
Bien sur cela agace la juge qui lui demande de revenir sur le jour des faits. Alors qu’il explique que l’État d’urgence ne doit pas impliquer que nous n’ayons plus aucuns droits pas même celui de manifester contre une situation intolérable, la juge cherche à l’interroger sur sa véhémence et la violence pendant la manifestation. L’avocate de la défense doit intervenir pour lui rappeler que Marcus n’est en aucun cas accusé de violence mais de participation à une manifestation interdite. Bien sur la juge n’apprécie pas, lui rappelant qu’elle aura la parole après, parole qu’elle essaiera d’ailleurs à plusieurs reprises de lui couper pendant sa plaidoirie. La proc, elle, pourra reparler après la plaidoirie de la défense sans que notre juge arbitre pourtant garante du protocole n’y voit à redire.

Face à un accusé qui ne se démonte pas, qui répond calmement mais fermement aux questions même les plus absurdes, la juge est mal à l’aise. Elle cherche donc à mettre Marcus lui-même dans l’embarras. Ainsi, lui montrant une des nombreuses photos couleurs visiblement de très bonne qualité qui agrémentent le dossier, elle lui demande pourquoi il a l’air vindicatif. Là encore Marcus lui parlera d’une réalité que sans doute elle ne connaît pas : celle de personnes qui fuyant la guerre et la misère se retrouvent à dormir dehors et à survivre dans des conditions extrêmes.

Peu après, la juge dit à notre camarade d’aller s’asseoir et à peine assis, elle lui intime l’ordre de revenir à la barre comme si il avait commis un crime de lèse-majesté. Lui lisant son casier où apparaissent des infractions d’outrage et rébellion, elle s’exclame : « Vous avez quand même un souci avec les forces de l’ordre Monsieur ! »
Marcus lui objecte qu’il ne vient pas aux manifestations pour en découdre mais pour des causes. Il lui rappelle qu’il participe depuis plusieurs années à diverses manifestations : la guerre en Irak, le CPE… et que son physique est visible.
La juge veut alors le moucher une nouvelle fois et se croyant maline lui lance « la guerre en Irak, mais vous aviez 7 ans »… Marcus répond qu’il y a eu 2 guerres en Irak et qu’il ne parle pas de celle de 91 mais de 2003.
Un ange passe et dans la salle on rigole bien. Sur ce coup d’éclat, fin de la partie pour la juge qui passe la balle à la procureure. Celle-ci s’élance sur le terrain en donnant le ton : « Monsieur veut faire passer un discours idéologique. Pour lui c’est plus important de faire passer un message sur les migrants que respecter une interdiction préfectorale. »
Évoquant le contexte du 22 novembre, oubliant bien sûr que les premières victimes de Daesh et compagnie ne sont pas des occidentaux, elle rappelle que « tout le monde se sent concerné par cette menace qui pèse sur la société occidentale dans son ensemble ». Le 22 novembre « il y avait une réelle priorité : assurer la sécurité des chefs d’États du monde entier et que c’est pour cela que la manifestation était interdite. »
Elle évoque pêle-mêle une centaine de manifestants prenant la fuite face à un cordon de gendarmes mobiles, vingt personnes masquées soutenues par des centaines d’autres, des coups d’épaule, des coups de poing, une coupe afro pour désigner Marcus, des vêtements de personnes soi-disant très virulentes…
Elle précise que selon les rapports de police, « La plupart des manifestants semblaient aguerris à des techniques particulièrement éprouvées pour ce genre de manifestations. Ils courraient puis s’arrêtaient à côté de femmes et d’enfants pour ne pas se faire interpeller ». Outre les préjugés sexistes, je laisserai chacun-e apprécier le nombre de femmes et d’enfants baguenaudant boulevard Baumarchais un dimanche après-midi en plein mois de novembre alors qu’on ne cesse de nous répéter qu’en dehors d’aller boire un verre à une terrasse de café ou de consommer dans les magasins (fermés dans le quartier en ce dimanche après-midi), il faut éviter de sortir pour ne pas se mettre en danger…
La procureure aime bien l’expression « technique éprouvée ». Elle l’utilisera pas mal de fois surtout pour évoquer le fait que les manifestant-e-s se soient, sur la place de la République, mêlé-e-s à d’innocentes personnes en deuil suite aux attentats…..Pour avoir été présente ce jour là je me rappelle surtout qu’alors que nous tenions la banderole le long de la place face à la route, plusieurs personnes présentes sur la place de la République se sont mises à crier avec nous des slogans de solidarité aux réfugié-e-s !
Comme il s’agit de faire du prévenu, un meneur, la procureure sort de sa robe une arme qu’elle croit fatale et qu’elle n’a pas communiqué en amont à la défense : une récente condamnation émanant du tribunal de Nanterre. Début juin Marcus a en effet été arrêté lors d’une action lors de l’assemblée des actionnaires de la société Bolloré dans le cadre des mobilisations Nuit Debout et contre la loi travail, condamnation en cours d’appel. (voir sur le parisien )
Elle réclame 8 mois de prison dont 4 avec sursis, car selon elle « la gravité des faits est telle qu’il faut éviter le risque de réitération, risque réel car Monsieur se sent au-dessus des lois. »

Toutes les personnes solidaires présentes sont sidérées par ce réquisitoire. L’avocate de la défense, aussi et elle rappelle à la juge qu’elle n’est saisie que pour une participation à manifestation interdite. Elle reparle du contexte de cette manifestation de soutien aux migrants et migrantes appelée par des dizaines d’organisations et que la préfecture de police avait voulu transformer en rassemblement statique d’une heure sur les marches de l’opéra Bastille. Elle rappelle que les personnes convoquées pour ce motif au commissariat suite au départ du rassemblement statique sont ressorties avec un rappel à la loi pour l’une et rien pour les autres. Effectivement Marcus est « grand, costaud et noir et donc dans une manifestation on le voit mais même si il a les épaules larges cela n’est pas une raison pour lui faire porter la responsabilité de la manifestation et légitiment on peut se poser des questions sur ce qui peut être ressenti comme une discrimination. »
Concernant le refus de signalétique, alors que les prélèvements doivent être effectués par un OPJ ou sous son contrôle, dans le PV est indiqué qu’ils ont été « proposés » par un « fonctionnaire de la base technique ». De plus, être accusé de participation à un attroupement de nature à semer le désordre, ne permet pas de faire des relevés ADN, or Marcus a refusé le relevé ADN et pas la signalétique même si les flics ont considéré que c’était le tout qui était refusé. A ce moment la juge décide de couper plusieurs fois la parole à l’avocate de la défense car « c’est trop long, tout cela est déjà noté dans les conclusions écrites ». L’avocate continue sa plaidoirie, objectant que son client risque tout de même une peine importante et que cela ne se règle pas en 5 minutes.
Cette même juge laisse par contre plusieurs fois la procureure reprendre la parole alors que c’est le tour de la défense. A un moment, alors que l’avocate de la défense n’en a pas terminé, la procureure lui intimera l’ordre de se déplacer pour remettre à la cour des pièces (les récentes condamnations émanant du TGI de Nanterre) venant du parquet et donc de son « équipe ». Maître Terrel refusera catégoriquement de le faire, obligeant la procureure à se déplacer en maugréant.

Le mot de la fin est revenu à Marcus, avec un calme olympien tranchant avec l’énervement ambiant. Il rappelle l’importance de participer à cette manifestation du 22 novembre à laquelle il n’était pas venu pour en découdre mais en solidarité avec les migrants et migrantes qui subissent la stigmatisation et des conditions de vie inhumaines.

Après plusieurs heures d’attente, la juge commencera à distribuer les verdicts de tous les prévenus du jour, rappelant que « le tribunal n’est pas particulièrement clément, le tribunal est juste ». Pour Marcus ce sera une relaxe pour le refus de signalétique (ADN et empreintes) et 500 euros pour participation à la manifestation plus 127 euros de justice.

Pour finir ce compte-rendu, je me permettrai de rajouter qu’il était dommage que nous ne soyons pas un peu plus nombreux et nombreuses. Cette manifestation du 22 novembre a été à l’origine de la constitution du collectif stop état d’urgence dans lequel il y a des dizaines d’associations et d’organisations. Surtout, elle a permis de redonner à des centaines d’entre nous de la motivation et du courage pour continuer à créer des espaces de lutte et de liberté malgré la volonté de l’État d’utiliser les attentats pour bâillonner toute contestation sociale et de n’autoriser que les expressions de ralliement à l’unité nationale face à des ennemi-e-s désigné-e-s (les étranger-ère-s, les musulman-e-s, les pauvres). Il serait bien que la solidarité avec les personnes qui subissent la répression suite à ces moments collectifs s’exprime sur la durée et au-delà des catégorisations militantes qui parfois nous enferment et qu’il faut savoir briser.
Solidarité avec Marcus et toutes celles et ceux qui, de gré ou de force, sortent des sentiers battus pour vivre, survivre et parfois changer le monde !

Mots-clefs : justice | manifestation | migrants
Localisation : Paris 1er

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