Les Versaillais du Larzac

En 1985, quatre ans après l’abandon du projet d’extension du camp militaire, l’État rétrocédait aux paysans du Larzac les terres qu’il avait acquises dans cette perspective, par la création d’un office foncier, la SCTL, unique en France : l’État reste propriétaire des terres, mais celles-ci sont gérées directement et collectivement par les paysans. Les avantages sont nombreux : pas de propriété privée, donc ni spéculation foncière ni accaparement de terres à des fins non agricoles ; installation de jeunes paysans qui n’ont plus à s’endetter à vie auprès des banques et peuvent, avec l’assurance de baux de carrière jusqu’à leur retraite, se concentrer sans crainte sur leur activité et ainsi innover dans une agriculture paysanne respectueuse de la qualité et de l’environnement ; fermes toutes exploitées, et non utilisées comme des résidences secondaires, etc. Par ce système, le Larzac est aujourd’hui un « pays » peuplé, vivant, actif, novateur, où la population agricole a augmenté de 20 % en trente ans, à l’inverse de ce qui se passe partout ailleurs en France.

Qu’un ministre de l’Agriculture vienne sur le Larzac pour prolonger ce bail, et exprimer ainsi, trente ans après, la reconnaissance de l’État pour le travail effectué... très bien. Même si sur le Larzac, nous sommes quelques-uns à nous être interrogés sur ce qui pouvait aussi avoir, en marge, une signification politique : un ministre (Stéphane Le Foll) accueilli par un député européen (José Bové, cogérant de la SCTL), tous deux anciens collègues dans la commission "agriculture" du Parlement européen. De l’extérieur, ne pouvait-on pas aussi voir-là une opération de communication et de double tentative de récupération politique faite sur le dos de tous les habitants du Larzac, donc aussi le nôtre : d’un côté, un gouvernement adoucissant son image d’inflexibilité à Notre-Dame-des-Landes en "soignant" le Larzac ; de l’autre, un député européen en fin de mandat "soignant" son avenir politique en se montrant proche du pouvoir en place ? Peut-être pas. Mais pour dissiper le doute, nous aurions préféré que ce nouveau bail soit signé ailleurs que sur le Larzac. Il existe une préfecture à Rodez, et une sous-préfecture à Millau... Mais personne ne nous a demandé notre avis. Admettons...

Par contre, ce qui nous a paru certain, c’est le message déplorable que le Larzac allait envoyer aux militants de Notre-Dame-des-Landes qui, eux aussi, comme les Larzaciens l’ont fait en leur temps, se battent pour la préservation de leurs terres contre un projet inutile : fin novembre, les Larzaciens affrétaient un bus pour venir les soutenir en nombre ; huit mois plus tard, les mêmes dérouleraient le tapis rouge au ministre d’un gouvernement qui leur a envoyé des régiments entiers de gardes mobiles, déclenchant une véritable guerre dans le bocage nantais. Pour nous, la moindre des choses était, après avoir pris acte de la venue du ministre, d’en profiter pour l’interpeller sur ce point. Simple question de cohérence. Mais là, nos "camarades" et voisins de la SCTL et de la Confédération Paysanne nous ont répondu : « Halte-là, pas de vagues, ne mélangeons pas tout. »

Lire la suite sur Monde solidaire

Chaleureuse poignée de main entre un ancien Larzacien et un ancien ministre de l’Intérieur.
Mots-clefs : agriculture | ZAD

À lire également...