Les flics nous polluent la vie

C’est anecdotique, juste un exemple parmi des millions de ce que signifie vivre dans un « état d’urgence », de ce que signifiait y vivre même avant l’urgence, c’est un épisode qui s’ajoute aux autres et qui accroît et légitime encore une fois la rage qui nous tient debout et nous colle à la peau.

A la fin d’une journée comme celle du 26 mai, on rentre chez nous fatigué.e.s et puant.e.s du gaz qui s’imprime sur nos visages et qui donne la sensation d’avoir inscrit en soi la force d’un mouvement. On a en nous une sorte de joie parce que ça a été « enfin une manif qui se passe bien », comme disait un tag à l’entrée de la place de la Nation. Parce que le cortège de tête, ce qu’on pourrait appeler la lymphe vitale des manif qui désormais nous donnent le rythme du quotidien, est toujours plus déterminé, plus grand, plus incisif. Parce qu’on est compact.e.s "qu’on casse ou pas" ou "qu’on bosse ou pas" [1] . C’est aussi ce jour que nous avons assisté au lancer d’une grenade de désencerclement par un policier qui a causé un blessé grave et dans notre peau, outre les gaz, les blessures et les tirs de flashball, il s’inscrit aussi une mémoire, la mémoire de la haine, quelque chose qu’après ces trois mois on ne pourra plus oublier. C’est quelque chose qui a changé la vie de celle-ux qui ne tenaient pas encore pour acquis que si tout le monde déteste la police, c’est parce qu’elle est le bras armé de l’ordre établi. Ils nous polluent la vie et on n’en peut plus de voir des colonnes de cars de CRS occuper les rues, d’entendre leurs sirènes, de voir des flics qui tabassent, qui interpellent, qui filment, qui existent...

Alors on rentre chez nous, avec en nous la mémoire de la haine et dans la peau le souvenir d’une journée qui donne l’envie de vivre, de continuer ce début de révolte parce que l’un ne peut plus aller sans l’autre. Sur le chemin du retour on a eu envie de laisser une dernière trace. On n’a pas le temps de finir qu’une voiture de flics nous arrête avant qu’on puisse partir. Après contrôle d’identité et fouille des sacs, ils ont envie de nous faire chier, de nous intimider. Un en particulier commence à nous mettre la pression avec ses discours qui puent la frustration. Il nous menace en disant – vous vous êtes bien amusés en manif sur Paris à lancer des pierres sur les CRS quand vous êtes 200 mais là vous êtes deux, vous faites moins les malins [...] On pourrait vous mettre dans un coin de rue, vous tabasser, vous fracasser la tête et vous laisser pour morts – il continue en disant qu’il pourrait aussi nous montrer le pouvoir de sa gazeuse parce que sans nos masques on ne peut rien. Il n’oublie pas de montrer son racisme en disant que pour quelqu’un qui n’est même pas français venir en France et commettre des actes de dégradation c’est un manque de respect et une honte. Il s’amuse aussi à faire des analyses sociologiques de comptoir en utilisant plusieurs éléments comme des vêtements noirs, notre provenance géographique, des gants et des masques dans nos sacs, pour proposer comme conclusion qu’on est des casseu.ses.rs... Comme si ça pouvait être une humiliation... Après avoir vomi sur nous leur dégoût ils partent en jetant par terre nos papiers.

C’est anecdotique, juste un exemple parmi des millions de ce que signifie vivre dans un « état d’urgence », de ce que signifiait y vivre même avant l’urgence, c’est un épisode qui s’ajoute aux autres et qui accroît et légitime encore une fois la rage qui nous tient debout et nous colle à la peau. Toujours plus convaincu.e.s d’être du bon côté de la barricade et que les intimidations, les accusations, les interdictions, les violences, l’enfermement ne nous arrêterons pas.

Nous n’avons que notre rage à opposer à leurs armes et leurs menaces. Mais celle-ci, tout comme le nombre de celles et ceux qui la ressentent, grandit chaque jour. Chaque coup porté s’inscrit en nous. Et nos mémoires et nos corps ne les oublieront jamais. Elle boue déjà la rage et nous attendons avec impatience le jour où chacune des personnes lassées de la contenir, et de garder en elle ses traces, la laissera exploser à la sale gueule de l’État – qu’il soit d’urgence ou pas – et de son monde.

Notes

[1Titres de textes écris par des personnes de la banlieue parisienne distribués pendant les manif contre la loi travail.

Mots-clefs : violences policières
Localisation : Paris

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