Les files d’attente interminables devant la préfecture d’Évry

Lundi 20 mars 2017, Boulevard de France, Évry. Il est 6h15, une petite centaine de noirs et d’arabes sont en file indienne dans la rue. Quelques militants distribuent du café et des croissants. De l’autre côté du grillage se tient la préfecture de l’Essonne. Les lumières sont éteintes, sauf dans un petit bureau. On se demande qui y est à cette heure. Mais c’est fermé. Alors c’est aux personnes qui attendent devant la préfecture qu’on demande qui elles sont et ce qu’elles font là.

Des personnes qui viennent et qui reviennent

Bene [1] est là depuis 19h hier. Il a passé la nuit devant la préfecture. Ça fait 5 ou 6 ans qu’il est en France mais il n’a pas de titre de séjour. Il est déjà venu à la préfecture. 11 fois ces trois derniers mois. À chaque fois, on lui demande de nouveaux justificatifs pour appuyer sa demande et on refuse de prendre son dossier. Son patron en a un peu marre de le voir manquer le travail et de devoir, lui aussi, fournir toujours plus de documents. « On a pas le droit de travailler, on peut pas se loger, on ne peut pas payer le loyer. L’homme qui a faim n’est pas un homme libre » dénonce-t-il, rappelant que passer par cette procédure est pour eux une nécessité.

Diallo aussi est sans-papiers. Il est en France depuis 2003, travaille comme vendeur. Pour déposer sa demande de titre de séjour, il est venu une première fois il y a deux semaines. Arrivé à 6 heures, il a attendu jusqu’à ce qu’on lui dise qu’il n’y avait plus de place pour ce jour-là et qu’il fallait revenir un autre jour. Il est revenu le lendemain, à 6 heures aussi, et il n’y avait pas plus de place. La troisième fois, il est arrivé à 22 heures. Cette fois-ci, un agent a examiné les documents qu’il avait apporté. Pour conclure qu’il manquait un document. Il est donc revenu dans la file, à 22 heures hier soir, pour avoir une nouvelle chance de déposer son dossier. Pour améliorer l’accueil, il propose de séparer les files entre ceux qui viennent pour un renouvellement de titre de séjour et ceux qui viennent, comme lui, pour demander un premier titre de séjour. « En tout cas, c’est pas possible d’avoir à venir à 22 heures pour déposer un dossier le lendemain ! »

Taboure a droit a un titre de séjour. La préfecture ne pourra pas le lui refuser, il a un enfant français. Seulement, lui aussi revient pour la ènième fois suite à des refus de prendre le dossier. « À chaque fois il leur manque un document ! Une fois ils veulent le papier de la Caf, puis la facture EDF, puis le carnet de santé, puis une attestation du docteur, etc. Ils demandent même des papiers que nous ne pouvons pas avoir ! En vrai, je pense qu’ils refuseront de prendre le dossier tant que ma compagne ne viendra pas avec moi », ce qui est tout à fait illégal.

« La rage de voir nos buts entravés, de vivre en travers ... »

Ces multiples passages ont des conséquences parfois lourdes pour ceux qui sont obligés de faire ces démarches. Lilian, étudiant en carrosserie en lycée professionnel, a ainsi loupé plusieurs journées d’un stage obligatoire qui, du coup, ne sera pas validé. Il craint de devoir redoubler son année à cause de la préfecture de l’Essonne. La première fois, il a pu retirer le formulaire mais les fois suivantes ils ont refusé de prendre son dossier. Le dernier refus étant justifié par l’absence de l’original de son certificat de scolarité. Il n’avait qu’une photocopie. Il a proposé de l’apporter le lendemain mais ça a été refusé. Il est revenu les vendredis suivants mais, à chaque fois, il arrivait à 5 heures du matin, soit trop tard pour que son dossier soit examiné dans la journée. On ne lui propose alors qu’un rendez-vous dans un ou deux mois, ce qui fait trop loin pour lui. Il espère pouvoir passer aujourd’hui. Ce qui le blesse dans ce système, c’est surtout le manque de respect et de considération. Il est aussi embêté par le système des priorités, qui fait que des personnes handicapées ou avec des enfants passent devant la queue, en arrivant à l’heure d’ouverture : il le comprend, mais constate que vu le faible nombre de dossiers examinés par la préfecture, ça empêche de fait les autres personnes de déposer leur dossier.

Rahim aussi était étudiant il y a quelques années. Il a obtenu un diplôme d’ingénieur dans l’aéronautique. Il a décroché un emploi à la fin de ses études, où il travaillait notamment pour l’armée française, et a immédiatement demandé une autorisation de travail. Sans qu’il comprenne bien pourquoi, celle-ci lui a été refusé. Il s’est embauché dans la logistique, là où on a bien voulu l’employer sans trop regarder ses papiers. Il a racheté une pizzeria et ainsi obtenu une carte de séjour en tant que commerçant, plus facile à obtenir qu’une carte en tant que salarié. Il vient en demander le renouvellement et, aussi, demander une carte de résident, valable 10 ans. Cela lui éviterait d’avoir à revenir tous chaque année.

De très mauvaises conditions, quelles solutions ?

Momo, qui a passé la nuit devant la préfecture, raconte que la police est venue et a dispersé la file, leur interdisant de rester devant la préfecture. Ceux qui en avaient se sont réfugié dans leur voiture, ceux qui n’en avaient pas ont attendu sur un parking un peu plus loin. C’est le cas de Hanna, arrivée à 16h30 hier, qui vient demander un premier titre de séjour. C’est son avocat, dit-elle, qui lui a dit de venir la veille. Ils ont fait une liste pour savoir qui était arrivé quand. À 18h15 hier, il y avait déjà 7 noms sur la liste me montre Amir.

Hakim, qui demande le renouvellement de son titre et aimerait aussi obtenir une carte de résident, fait remarquer qu’il n’y a ni chaises, ni toilettes sur ce bout de trottoir coincé entre le boulevard de France et la préfecture. Il n’y a rien non plus à proximité. Il rappelle que, dans son pays, les étrangers qui viennent son bien mieux accueillis qu’ici, notamment les européens.

Mwenge, militant CGT et travaillant dans la logistique, pointe ainsi l’hypocrisie du discours sur la démocratie et les droits de l’homme. « Vu d’ici, on a du mal à comprendre ce que ça veut dire. Ces conditions sont indignes d’un pays développé. D’autant plus qu’on est dans un pays froid ; parfois il pleut ici ! On est tous des êtres humains ». Il vient aussi demander une carte de résident et ne comprend pas pourquoi elle lui a été refusée l’an dernier, alors qu’il en remplissait les conditions. S’il l’avait obtenue, il n’aurait pas à faire la queue aujourd’hui, et ça ferait un dossier de moins à traiter pour la préfecture.

Amandine, étudiante et membre de l’aumônerie catholique, qui participe à ce titre à la distribution des petits déjeuners, est triste et en colère face à ces mauvais traitements. « La préfecture est négligente, ils se fichent des conditions dans lesquelles ils mettent les personnes ». Pour elle, il faudrait mieux organiser l’accueil et permettre plus largement de prendre rendez-vous par internet pour déposer les dossiers.

Salim, qui est en France depuis 15 ans et travaille dans le bâtiment, a essayé de prendre rendez-vous par internet. Pour certaines demandes de renouvellement de titre, c’est en effet théoriquement possible. Conclusion ? « Internet, ça marche pas, c’est toujours bloqué. » Du coup, il vient en personne pour prendre le rendez-vous. Il s’est levé à 3 heures du matin, est arrivé à 4 heures et estime qu’il sera chanceux s’il passe d’ici 13 ou 14 heures. La solution, d’après lui, consiste à ouvrir davantage de sous-préfectures.

C’est aussi l’avis d’Yvan Lubraneski, maire du village des Molières venu soutenir la mobilisation associative ce lundi. « Dès qu’on centralise, on déshumanise. Quand ils parlent de rationaliser, c’est en général des objectifs pas sympathiques qu’il y a derrière. Centraliser les démarches au niveau de la préfecture, c’est une façon de limiter le nombre de régularisations ».

Aller voir ailleurs ?

Savas, un français qui accompagne un cousin dans ses démarches, s’énerve dans la file. « Ça fait des années que ça dure ! Je suis arrivé en 1983 avec mes parents, c’était déjà pareil. Droite, gauche, ça ne change rien. Ils s’en fichent complètement. La seule solution, c’est de quitter la région parisienne, dans des villes moins grandes ça se passe mieux ».

Keita, militant CGT et venu aujourd’hui pour déposer le dossier de son épouse, constate qu’à Créteil, en tout cas, c’est encore pire. Il est là depuis 6 heures du matin, et ne sait pas s’il pourra déposer le dossier aujourd’hui.

Un sentiment d’impuissance

Gaëtan, bénévole au secours catholique et un des organisateurs de la manifestation d’aujourd’hui, dénonce l’inaction de la préfecture. « Le problème est récurrent ! Il y a une équipe pour apporter des petits déjeuners tous les lundis depuis 2011 ! On a interpellé la préfecture sur le sujet, mais pour elle la situation est normale, ça se passe bien, la file est correctement organisée ». D’où l’idée de rassembler davantage de monde aujourd’hui, pour témoigner et dénoncer plus largement cette situation.

Yamina, militante de la Cimade, enrage contre les mauvaises informations diffusées parmi les migrants. « Des gens font la queue pour renouveler un récépissé ou retirer un formulaire. C’est inutile ! Il suffit de venir en fin de matinée ou début d’après-midi, on attend une heure et c’est bon ! » Une partie du problème repose donc sur la mauvaise communication de la part de la préfecture.

Oumaïma, étudiante et membre de l’association musulmane de son école qui s’associe à l’aumônerie catholique pour la distribution des petits déjeuners, trouve aussi scandaleuse cette situation. Elle-même est passée par là, avec ses parents, raconte-t-elle. À l’époque, ils avaient interpellé le maire d’Évry, Manuel Valls, qui les avait reçu pour parler du problème. Ça n’avait rien changé.

Pourtant, le problème semblait avoir été compris par les politiques. Un rapport de 2013, rédigé à la demande du ministre de l’Intérieur (qui était alors ... Manuel Valls) constatait :

Files d’attente de plusieurs heures devant et à l’intérieur des préfectures, parfois la nuit, altercations à l’ouverture des portes, journées passées à attendre sans pouvoir accéder aux guichets, refus arbitraires de recevoir des dossiers de demande de titre : la mauvaise qualité de l’accueil dans les services des étrangers a fréquemment été mise en avant au cours des dernières années.

Face à une situation difficile à accepter, une prise de conscience récente du problème est à saluer. Des efforts très importants demeurent toutefois à accomplir, l’organisation de l’accueil devant en particulier répondre à la nécessité de se conformer à quelques principes républicains fondamentaux.

Ce rapport a été écrit par Matthias Fekl devenu, mardi, ministre de l’Intérieur. Saura-t-il mettre en cohérence ses actes et ses écrits ? Les migrants devant la préfecture d’Évry n’attendent que ça.

Note

Ce lundi 20 mars, à l’appel de diverses organisations (Secours Catholique, de l’aumônerie catholique « jeunes de l’Essonne », du Réseau éducation sans frontières, de la Cimade, de la ligue des droits de l’homme, de la maison du monde d’Évry et Cfdt Essonne) était organisé un rassemblement pour dénoncer cette situation. Une cinquantaine de militants, dans et hors structures associatives et partisanes, ont pu constater le problème et exprimer leur solidarité envers les 250 migrants qui attendaient devant la préfecture ce matin-là.

Notes

[1Certains prénoms sont d’emprunt, à la demande des personnes concernées.

Localisation : Évry

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