Les enfants, aujourd’hui on va parler du salariat !…

Leurs parents, pour la plupart salariés, rentraient le soir avec du fric, du blé, de la fraîche, de l’oseille – c’était normal – et eux, les mains vides, étaient accueillis par un « Alors, t’as bien travaillé ? »

Il y a un quart de siècle, j’étais instit dans un grand groupe scolaire. Roue de secours, on m’avait collé un remplacement de longue durée. Des petits de 7 ans. Un certain esprit flottait dans la classe. Nous passions autant de temps à discuter du pourquoi qu’à engranger des connaissances nécessaires mais pas suffisantes. Ça c’est pour le cadre.
Un jour, un môme a demandé la tenue d’une réunion pour parler d’un truc qui le perturbait lui et ses « collègues ». Le mot collègue a son importance.
« Toi, tu es payé pour venir à l’école, nos parents sont payés et nous non. C’est pas juste !… »
Alors commença, avec ces petits « travailleurs » hauts comme 7 ans, une discussion sur le travail et sur le salariat. Primo, définir leur travail : apprendre, devenir. Secundo, définir à qui allait profiter leur travail : eux-mêmes. Conclusion, s’ils devaient être rémunérés, ce serait par eux-mêmes… Pas très convaincant comme argument…

Leurs parents, pour la plupart salariés, rentraient le soir avec du fric, du blé, de la fraiche, de l’oseille – c’était normal – et eux, les mains vides, étaient accueillis par un « Alors, t’as bien travaillé ? »
Je leur ai demandé 24 heures de réflexion : « Bon, prenez votre livre de lecture. Promis, on en reparle demain… »
Le jour d’après, donc, je suis arrivé avec une proposition : J’avais photocopié des planches de billets sentant bon divers jeux de société, j’avais quelques échantillons de stylos et autres trucs reçus en échantillons gratuits (marques grattées au cutter ou masquées au marqueur)…
Les mômes voulaient être payés, ok… mais puisque l’argent allait circuler comme « dans la vraie vie » alors il allait aussi y avoir des amendes et puis ce foutu argent à gérer. Obligation pour chaque « travailleur scolaire » d’avoir une comptabilité tenue à jour avec les entrées et les sorties. Pour le salaire : un fixe de base plus une prime aux résultats (le retour des « bons points »). Et il y avait ces objets qu’ils pourraient acheter en fin de mois…
Les mômes de 7 ans ont écouté, compris, souri et sorti une belle feuille pour leur compte.
Et l’expérience a commencé…

Au bout de trois semaines, un môme a demandé la tenue d’une réunion pour un truc qui le perturbait lui et les autres élèves.
Au début, c’était super de rentrer à la maison avec l’argent gagné au fond du cartable (j’avais mis les parents au courant…) et puis ça a commencé à dérailler :
Les bons élèves ne trouvaient pas juste le salaire de base même pour ceux qui ne foutaient rien. Ils voulaient un minimum très minimum et plus de primes.
« Certains » faisaient tenir leur feuille de compte par la grosse tête en calcul qui se faisait payer. Leur compta était bien tenue et ils n’avaient pas d’amende comme ceux qui ne trichaient pas mais oubliaient parfois une retenue…

Et puis, il y avait A… qui faisait des dessins « vachtement beaux » et qui passait son temps à dessiner et à vendre ses œuvres. Ses parents croyaient qu’il « travaillait bien » alors qu’il passait son temps le nez en l’air…

Et puis, il y avait B… qui avait payé C… pour se « bagarrer à la récré » avec D… qui le bousculait toujours pour sortir.

Et puis, il y avait des élèves des autres classes qui les dépouillaient pour, eux aussi, avoir des billets.

Et puis, il y avait E… qui s’était fait coincée par la directrice, en train de photocopier des billets à la récré. 7 ans et déjà fausse-monnayeuse…

La conclusion était évidente… Les mômes décidèrent d’abolir l’argent, le salaire, les primes, les feuilles de compte et tout se termina par la prise au tas (et le rationnement) des trucs récupérés en 3 semaines et dont l’échange contre des billets démonétisés était devenu parfaitement obsolète.

A bas le salariat !

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Mots-clefs : écoles | salaire

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