Le combat social, voilà la guerre véritable

Après les attentats du 13 novembre, voilà que l’État reprend ses méthodes terroristes.
Analyse du groupe anarchiste Salvador-Seguí (FA, Paris).

Après le terrorisme djihadiste, voici revenue la terreur d’État. Une terreur alimentée par une classe politique qui dit « amen » aux délires ultra sécuritaires d’un gouvernement qui lui-même n’en finit plus d’alimenter la peur, à coups de déclarations imbéciles et infondées, sur, par exemple, la crainte d’attaques chimiques. « C’est la guerre », nous dit-on partout, sur les plateaux télé, dans les journaux, au travail. Des milliers de militaires et de flics se déploient dans nos rues, armes lourdes en bandoulière. Les regards sont suspicieux, la police contrôle à tout-va, ici une voiture, là un individu jugé suspect. Les perquisitions se multiplient, on casse des portes, on traîne des hommes à moitié nu dans la rue, le tout sans mandat – l’état d’urgence permet tout. Cette situation hallucinante, dans laquelle l’État exhibe sa force de frappe, nous est partout présentée comme normale. « C’est normal, nous sommes en guerre. » Personne n’ose émettre la moindre critique à l’égard de ce défilé de bottes et d’armes ; la preuve en est : le vote de 551 députés sur 557 exprimés pour la prolongation de l’état d’urgence. Au contraire, on n’a de cesse d’encenser les flics, qu’on nous présente comme des héros habités par le courage, valeureux et téméraires, bons et prêts à servir. On oublie les innombrables bavures mortelles qui ensanglantent l’uniforme des petits soldats de la République, on oublie les manifestations dispersées dans la violence, on oublie les insultes essuyées lors des contrôles, bref on fait table rase de tout ce qui pourrait ternir l’image d’une institution policière présentée comme le dernier rempart à la barbarie.

Comprendre les oppressions, s’implanter socialement

L’État nous rejoue son tour de passe-passe favori. Affaibli par une situation économique désastreuse qu’il n’arrive pas à redresser et par la preuve flagrante de son incapacité réelle à protéger ses sujets, il cherche à retrouver sa légitimité à travers sa police et dans la violence. Un choix politique fort, qui traduit bien ses principales préoccupations – régaliennes et sécuritaires –, là où il aurait très bien pu, par exemple, réinvestir dans les services publics et la protection sociale qu’il détruit peu à peu. Car, ne nous leurrons pas, le terrorisme djihadiste n’est rien d’autre que l’enfant terrible d’une République bourgeoise qui engendre pauvreté, misère et précarité, sacrifiant le quotidien de millions de personnes sur l’autel des profits de ses classes dominantes et possédantes. L’islamisme radical s’implante dans les quartiers populaires en se greffant sur certaines des colères légitimes qui les habitent et en se présentant comme la solution dans ces territoires où l’État social a quasiment disparu. L’État, mais aussi le mouvement social, syndical et associatif, désormais réduit à portion congrue. Une disparition qui, cette fois, nous concerne tous et qui devrait interroger tous ceux qui, à juste titre, ne mettent aucun espoir en l’État. La meilleure riposte contre l’islamisme n’a jamais été dans un déploiement décomplexé de forces militaro-policières ni dans la multiplication des enfermements carcéraux, qui ne font qu’attiser une haine sociale légitime qui pourrait trouver refuge dans des idéologies meurtrières qui frappent aveuglément. La seule réponse qui vaille, la seule réponse pérenne, est une réponse sociale, qu’on doit construire en apprenant à analyser les oppressions que nous subissons, afin de mieux comprendre d’où elles viennent et qui elles servent. Et ainsi ne pas se tromper d’ennemi quand l’heure est au combat.

L’ennemi n’est pas plus le travailleur musulman que le travailleur fan de rock, ce n’est pas celui qui, après le travail, se réfugie dans une mosquée ni celui qui lui préfère la terrasse d’un bar. L’ennemi, c’est cet État qui nous surveille et nous opprime, c’est ce patronat qui nous exploite, c’est cette classe politique qui nous monte les uns contre les autres, ce sont ces pouvoirs théocratiques qui nous abrutissent. Toutes ces institutions, tous ces individus, toutes ces idéologies sont les premiers responsables de la misère et de la violence sociales. Et tant que nous ne prendrons pas conscience qu’au-delà des appartenances nationales et religieuses, qu’au-delà des sexualités et des cultures, on appartient tous à une même classe d’exploités, que nous partageons tous, bien qu’à des degrés divers, la même souffrance, eh bien nous ne sortirons jamais de la spirale de mort dans laquelle le capitalisme et l’État nous ont enfermés. Un gros travail d’implantation sociale est à impulser ou à poursuivre, dans nos quartiers, dans nos lieux de vie, dans les entreprises qui nous emploient, pour ne pas laisser ces déserts politiques à la merci de l’extrême droite et des fanatiques de tous poils. Le tissu syndical et associatif est un des vecteurs principaux de cette implantation, et il est plus que jamais nécessaire de ne pas le laisser dépérir.

Contre l’état d’urgence et les patriotismes

En attendant, il nous appartient à tous de nous mobiliser contre le danger immédiat qui nous guette, et qui a déjà frappé : cet état d’urgence qui préfigure un État encore plus policier, encore plus répressif, encore plus violent, un État terroriste. Le climat de peur que les politiques et les médias instaurent n’est là que pour légitimer un peu plus ces solutions démagogiques qui reviennent à sacrifier nos libertés individuelles et collectives à une sécurité qu’on sait déjà cruellement illusoire. Il serait dangereux et faux de croire que ce ne sont pas nos libertés qu’on abandonne, mais seulement celles du voisin terroriste ; ces mesures nous concernent tous et servent les intérêts des mêmes dominants. Déjà, d’ailleurs, le crime leur profite : l’état d’urgence leur a permis d’interdire des rassemblements et des manifestations, notamment celle qui, le 29 novembre, entendait dénoncer la mascarade politique qu’ils appellent COP21. À ces interdictions opportunes pour le gouvernement s’ajoutent aussi tous les cadeaux faits aux forces dites de l’ordre. Ainsi les pressions des syndicats de police ont-elles fait plier, sans trop forcer, la direction générale de la police nationale, qui vient d’autoriser les flics à porter leur arme en toutes circonstances, même en dehors de leur service, achevant d’en faire les petits cow-boys qu’ils rêvaient d’être.

De même, il nous appartient de dénoncer et de combattre, dans la rue si besoin, les sursauts nationalistes et patriotiques, qu’ils prennent les formes odieuses du racisme et de l’islamophobie ou, simplement, de la bêtise crasse, celle qui entend ériger en modèle culturel dominant des modes de vie complètement fantasmés et à cent lieues des quotidiens misérables et précaires d’une large partie du prolétariat français et immigré. Non, Paris, ce n’est pas seulement des terrasses et des concerts de rock, c’est aussi le théâtre d’une gentrification violente et de l’exploitation économique, le lieu d’errance dramatique de centaines de sans-domicile-fixe, des campements de migrants harcelés par les flics, des humiliations policières racistes dans les transports en commun et les quartiers populaires, des lieux de vie fascistes. Paris n’est pas une fête pour tout le monde, c’est une ville à l’image de notre société, où la richesse côtoie la misère et où l’impunité des puissants nargue la répression tous azimuts des classes populaires.

Groupe anarchiste Salvador-Seguí (FA)
Paris, le 21 novembre 2015

Mots-clefs : police | démocratie

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