La Révolution culturelle, une clef pour comprendre la Chine

Deux textes intéressants sur la Révolution culturelle chinoise (GRC pour les intimes) à l’heure où les enjeux des luttes du passé s’effacent toujours plus derrière un brouillard d’oublis et de déformations.

La Révolution culturelle, une clef pour comprendre la Chine

« La clef de la compréhension du changement d’orientation de l’après-Mao et l’ascension économique de la Chine est ancrée dans l’ère de Mao » , écrit Yiching Wu dans le récent ouvrage qu’il a consacré à la Révolution culturelle. Nulle tentative de réhabilitation, explique ici l’ami Charles Reeves, mais le désir de montrer la complexité et la multiplicité d’une lame de fond qui faillit bien échapper au contrôle sanguinaire du « Grand Timonier ».

Dans un éditorial du New York Times publié le 27 mai 2015, « Corrupting the Chinese Language » (27 mai 2015), l’écrivain chinois Murong Xuecun écrit ceci : « Le nivellement par le bas de notre langue constitua un effort délibéré de rabaisser le discours public [...]. Cet emploi délibéré du langage pour embrouiller les choses vise un objectif clair : cacher la réalité de l’absence de démocratie en Chine et prétendre même que la démocratie existe. » L’auteur désigne le langage bureaucratique par l’expression « maolangue ». Il explique qu’elle fut utilisée à profusion pendant la Révolution culturelle : « La discussion intellectuelle, en même temps que la raison, fut jetée par la fenêtre. Dans cette atmosphère, les mots perdent leur véritable sens. Le parti peut alors se servir des mots pour noyer le poisson et mentir. »
Mais Murong Xuecun semble lui-même victime de la manipulation du langage dont il parle. Il utilise l’expression « Révolution culturelle » dans le sens que lui donnent les autorités : en réduisant un mouvement social complexe à un mouvement politique contrôlé par Mao.

L’ouvrage de Yiching Wu, The Cultural Revolution at the Margins : Chinese Socialism in Crisis possède entre autres qualités celle d’amener le lecteur à s’intéresser à cette complexité. Après l’avoir lu, il devient difficile de parler de la Grande révolution culturelle prolétarienne (GCRP) en se référant seulement à sa version bureaucratique. Le livre de Wu s’inscrit dans une tradition bien établie qui comprend des chercheurs indépendants, tant universitaires qu’extérieurs à l’alma mater, ainsi que quelques groupes politiques socialistes radicaux situés à Hongkong, en Europe et aux États-Unis et ayant, depuis des années, développé une critique de la GRCP. Cette vision dissidente défend la thèse suivante : le grand bouleversement social a certes été lancé par la bureaucratie du parti, mais il a progressivement suscité des tendances anti-bureaucratiques - finalement écrasées par l’armée appelée à la rescousse par Mao. Certains témoignages de jeunes Gardes rouges (GR) rebelles vont en ce sens. Ils montrent que la version officielle de la terreur de la GRCP contre le « peuple chinois » camoufle le fait que les GR rebelles critiquant le système bureaucratique ont été les premières cibles de la répression par l’armée, à la fin des années 1960.

L’ouvrage de Wu constitue un ajout bien documenté, unique et bienvenu à la littérature existante sur le sujet. Les recherches approfondies menées par l’auteur, tant en Chine qu’ailleurs, rendent hommage aux étudiants et ouvriers qui souffrirent de la répression parce qu’ils avaient défendu une conception égalitaire et anti-bureaucratique du socialisme. Aspect terrible de la situation de l’époque : beaucoup d’entre eux moururent en pensant que cette conception était partagée par Mao lui-même.

La thèse de Wu peut se résumer en quelques citations : « La Révolution culturelle, écrit-il, commença principalement par une révolution menée d’en haut [...]. Mais à mesure que le mouvement se poursuivit, nombre de questions sociales et politiques anciennes refirent surface, profitant de la situation nouvelle où l’ordre avait quasiment volé en éclats. Plus d’une décennie et demie après la victoire de la révolution conduite par les communistes, le ressentiment populaire contre les privilèges des bureaucrates et les abus de pouvoir des cadres était général, et beaucoup de citoyens étaient trop contents de profiter du droit de se révolter récemment proclamé contre les autorités établies ». Et d’ajouter, plus loin dans le livre : « À mesure que la Révolution culturelle s’étendit, il devint clair que le pouvoir maoïste avait largement sous-estimé l’ampleur de la perturbation qu’entraînerait un mouvement de masse. Ce ne fut pas seulement la bureaucratie du parti qui fut assiégée ; la mobilisation de masse croissante remit aussi en cause un des aspects centraux du cadre établi de la Révolution culturelle, à savoir l’équilibre convenable entre révolte et production, entre révolution et ordre économique. »

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« Obéissez aux instructions ! »

De quoi la Révolution culturelle est-elle le nom ?

Alors que la lutte actuelle des travailleurs chinois contre les inégalités gagne en lucidité, les habits du président Mao sont usés, et il est peu probable que sa figure tutélaire vienne à nouveau abuser le peuple, comme au temps de la Révolution culturelle. Et ce sans doute au grand dam du néomaoïste Hongsheng Jiang, dont les éditions La Fabrique ont publié La Commune de Shanghai, et de son préfacier, Alain Badiou, quatrième épée du radicalisme chic, qui prétendent à une « réévaluation » de cette période. Charles Reeve et Hsi Hsuan-wou, auteurs de plusieurs ouvrages sur la Chine, s’attardent pour CQFD sur cette tentative de réhabilitation improbable.

Surprenant, parce qu’il donne la parole à un auteur des courants néo-maoïstes qui s’expriment en Chine, dans les marges tolérées de la nomenklatura du Parti et de la bourgeoisie rouge, et qui, sous couvert du culte de Mao – condition même de cette tolérance –, revendiquent l’héritage de la période maoïste, défendent un retour au modèle capitaliste d’État et réhabilitent la « Grande révolution culturelle » (GRC) de 1966-1967 [2]. Jiang n’hésite pas à écrire que, pendant la GRC, « la démocratie fit de grands progrès parmi les travailleurs » et affirme qu’on a « exagéré les violences et les massacres ». Il présente les grands chefs – la « bande des Quatre » – comme des « grands héros du prolétariat ». Surprenant enfin, car l’ouvrage nous arrive sous le label d’une maison d’éditions, La Fabrique, qui nous avait accoutumés à plus d’intelligence.

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Mots-clefs : Asie | Chine

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