La loi Fioraso sur l’enseignement supérieur et la recherche à la loupe

Analyse de la loi cadre sur l’Enseignement Supérieur et la Recherche, "loi Fioraso"

F. Hollande avait promis une nouvelle loi cadre pour « remplacer » la LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités), grande réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) promulguée sous le gouvernement Sarkozy et qui avait mobilisé 2 années de suite (2007 et 2009), les étudiant-es et personnel-les de l’enseignement supérieur.
G. Fioraso a alors simulé une concertation entre les différent-es acteurs-rices de l’ESR de juillet à novembre 2012 sous la forme des Assises régionales et nationales de l’ESR.
Le contenu des débats lors de ces assises permettait de douter de la possibilité d’une remise en question importante de la LRU. Ces craintes sont à présent confirmées à la lecture du projet de loi divulgué par le ministère.
En effet, il ne touche pas aux dispositions instaurées par la LRU (notamment une des plus critiquée qui est l’autonomie budgétaire), quant aux articles non modifiés par la LRU, il les incluent et les modifient dans ce sens.

Sont présentés ici, de façon non-exhaustive, certains points de la réforme les plus critiqués en ce qu’ils assujettiraient encore davantage l’ESR aux logiques du marché, qu’ils renforceraient le manque de collégialité, de démocratie et de transparence dans les modalités de prise de décision, qu’ils dégraderaient encore plus nos conditions d’étude et de travail et qu’ils appauvriraient le contenu de nos formations.

Il faut préciser qu’à la prochaine rentrée scolaire (2014/2015), les dispositions de la loi Fioraso sont censées pleinement s’appliquer. C’est pour cela que dans les conseils centraux, les élu-e-s commencent à recevoir des documents décrivant les mesures transitoires à mettre en place d’ici la rentrée.

I) Le nouvel objectif assigné au service public de l’ESR : le transfert des connaissances

Le code de la recherche est modifié en ce que tout une partie sur les « activités de transfert pour la création de la valeur économique » est ajoutée. Cela signifie que les « résultats de la recherche » sont à transmettre et sont utilisables par le « monde socio-économique », autrement dit le secteur privé et les entreprises.

Il est aussi dit très clairement que la recherche a, entre autres, une fonction d’expertise et doit servir d’appui aux politiques publiques en réponse aux grands défis sociétaux.

De plus celle-ci doit être tournée vers l’innovation :

« Cette stratégie vise à répondre aux défis scientifiques, technologiques, et sociétaux, notamment en matière d’énergie, de santé, de transport, et de sécurité alimentaire.
Les priorités en sont arrêtées après une concertation avec la communauté scientifique, les partenaires sociaux et économiques et les collectivités territoriales.
Cette stratégie doit être cohérente avec celle élaborée dans le cadre de l’UE . »
L.116-6

La stratégie européenne dont il est fait mention s’appelle horizon 2020, dont sont également tirées les dispositions de l’accord national interprofessionnel (ANI).

Conséquences : La recherche n’est plus un service public pour l’amélioration de la société, c’est une source de richesse pour le secteur privé.La « valorisation économique » devient le critère de l’excellence académique. Un des risque étant que soit bien plus privilégiée la recherche appliquée au détriment de la recherche fondamentale.

II) Régionalisation de l’ESR/remise en cause du cadre national de l’ESR

Le mouvement de fragilisation du cadre national de l’ESR se poursuit et on va vers une régionalisation de plus en plus évidente.
Il semblerait qu’il faille lire cette loi cadre en parallèle de la nouvelle loi sur la décentralisation où les régions revendiquent un rôle prépondérant dans le développement économique et dans la politique locale de la recherche.
Dans la loi cela se traduit tout d’abord par un renforcement accru du rôle des collectivités territoriales à tous les niveaux.

Cette régionalisation passe par :

  • Des regroupements d’établissements

On ne parle plus de Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur (PRES) mais de « communautés d’universités », de « conventions et associations » ou d’établissements qui fusionnent. Il est aussi possible de fusionner et d’entrer ensuite dans une communautés d’universités.
Le principe est que sur un territoire académique ou inter-académique, une de ces formes de regroupement organise tout de façon coordonnée : la politique de formation, la vie étudiante, la recherche, le transfert, la gestion des Ressources Humaines, les Relations Internationales, l’ enseignement numérique etc.

Le mode de contractualisation avec l’État passe par le biais d’un unique contrat de site alors qu’aujourd’hui chaque établissement passe un contrat avec le ministère et reçoit des moyens en conséquence. Ensuite, l’État donne des moyens au regroupement qui les redistribue entre ses diverses composantes. Cela signifie qu’il n’y a pas de fléchage étatique des moyens entre les divers établissements, composantes et formations. Les moyens seront distribués comme bon semblera au Conseil d’administration du regroupement avec le risque de devoir faire des choix dans l’attribution des moyens et de privilégier les formations, filières qui « en valent le coup ».

Le regroupement sous une de ces 3 formes est une obligation . Dans les universités les prochains contrats d’établissement doivent être des contrats de site. Même pour les établissements qui n’ont pas encore réfléchi dans quel regroupement s’intégrer, ils devront, à la rentrée 2014, conclure un contrat de site avec les autres établissements de leur territoire.

La logique de cela étant de faire émerger une trentaine de pôles universitaires alors que l’ESR compte aujourd’hui plus du double d’établissements. Avec tous les effets que l’on connaît déjà : suppression de filières, de cours, d’universités (pour éviter les « doublons » dans un contexte de baisse des moyens), avec des étudiant-es obligé-es de se déplacer pour suivre les formations voulues etc.

  • L’habilitation des formations versus accréditation des établissements

Aujourd’hui, le ministère contrôle le contenu des formations en analysant les maquettes qui lui sont transmises par les UFR. La nouvelle loi prévoit que l’État donne une accréditation générale au site qui ensuite met ce qu’il veut dans ses formations. L’État ne regarde plus ce qui constitue les formations.
Cela risque, entre autres, de produire des formations qui collent aux besoins locaux (dans le respect des « nouveaux » objectifs de l’ESR qui doivent aider au développement économique dans une logique de régionalisation) au détriment des filières académiques.
Cela constitue une remise en question du cadre national des diplômes car ce qui garantissait leur structure nationale était le fait que l’État donnait son approbation pour le contenu des maquettes. Reconnu par L’État, le diplôme sanctionne une qualification. Quand on a un même diplôme on prétend aux mêmes droits mais là, vu comment le contenu d’un même diplôme pourra varier d’un endroit à un autre, c’est une attaque contre nos droits sur le marché du travail.

  • Les Établissements privés d’Enseignement Supérieur

Les organismes privés d’Enseignement Supérieur peuvent être associés au sein des conventions et rattachements. Ils ne peuvent délivrer de diplômes nationaux mais certaines de leurs formations peuvent être reconnues par l’État.
Par ailleurs, l’État reconnaît certains établissement privés du moment qu’ils « assurent des missions de service public de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche » (!) sous le titre d’établissements d’enseignement privé d’intérêt général.
=> La frontière s’estompe entre le service public d’Enseignement Supérieur et l’enseignement privé.

III) Les instances universitaires

  • Les conseils centraux

Le Conseil des Études et de la Vie Universitaire et le Conseil Scientifique fusionnent en un « conseil académique ». Au sein de ce nouveau conseil, jusqu’à 20 % des membres peuvent être des personnalités extérieures
De plus, celles-ci peuvent aussi être présentes dans les « sections » qui vont composer le conseil académique. En effet, à l’exception des sections disciplinaires, de recrutement, affectation, des personnalités extérieures autres que celles mentionnées au-dessus peuvent les composer.

Au Conseil d’Administration, les personnalités extérieures sont nommées par le recteur et ensuite participent à l’élection du président alors qu’aujourd’hui les personnalités extérieures sont désignées par le président et ne participent pas à son élection.

  • Les UFR

L’article du code de l’éducation garantissant que les statuts de l’université doivent assurer la représentativité des grand secteurs de formations à l’intérieur des conseils centraux est supprimé.

IV) La refonte de la licence/appauvrissement des formations

L’objectif est de placer la licence dans la continuité du lycée. Elle viserait à donner un socle de compétences (rédaction de CV, compétences en informatique etc) et de connaissances très généralistes dans la suite de ce qui se fait au lycée. La spécialisation et le travail de recherche ne commençant qu’en master.
Une césure de plus en plus nette se dessine entre le cycle licence et master avec éventuellement une sélection encore plus importante pour passer en master ?
On forme ainsi des travailleuses et des travailleurs interchangeables sans connaissances précises pour qui la capacité critique et de réflexion n’est pas le plus important.

Créer une continuité entre lycée et universités c’est également mutualiser des enseignements et des enseignant-es dans une logique d’économies de moyens.

V) Et alors ?

La transformation de l’ESR a connu des résistances ici et à l’international. Si le processus de Bologne c’est une loi par an depuis 13 ans, c’est aussi une lutte par an. Signe que ce démantèlement n’est pas accepté de tou-te-s.

Note

Construisons la mobilisation initiée par des universités, ESPE, et IRTS pour la défense de l’instruction publique et du droit à l’éducation de toutes et tous !

Pour plus d’infos, consultez le blog de la mobilisation !

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