L’École et le Capital : deux cents ans de bouleversements et de contradictions

Pourquoi a-t-on « décidé », au début du XIXe siècle, qu’il fallait envoyer les enfants du peuple à l’école ? Comment ont évolué, depuis lors, les relations complexes entre le système économique et le système éducatif des pays capitalistes ? Quelles fonctions l’école a-t-elle été amenée à jouer dans ces pays ? Comment est-on passé d’un instrument essentiellement idéologique à l’actuelle machine à former de la main d’œuvre ?

À l’occasion d’un cours donné récemment à de futurs instituteurs et régents, je leur demandai de but en blanc : « à quoi sert donc l’école ? Pourquoi oblige-t-on les enfants à s’asseoir pendant de longues heures chaque jour sur les bancs d’une classe ? » Les réponses fusèrent : « pour former des citoyens responsables », « pour permettre à chacun de prendre sa place dans la société », « pour émanciper », « pour ouvrir l’esprit », « pour offrir aux jeunes la possibilité de choisir leur voie professionnelle en connaissance de cause », « pour assurer l’égalité des chances »...
Ah les braves ! Ils avaient bien étudié leurs leçons ! Au bout de quelques minutes j’arrêtai le déluge. « Tout cela est fort bien, dis-je, mais ce n’est pas du tout ce que je vous demandais ». Déception et étonnement palpables ! Je précisai donc : « La question était : ‘à quoi sert l’école ?’ et non : ‘à quoi voudriez-vous que serve l’école ?’ »...

Et de leur expliquer la différence entre attentes, discours et fonctions. Les attentes que nous pouvons avoir par rapport à l’école sont forcément subjectives, influencées par notre expérience, les valeurs que nous privilégions, nos convictions idéologiques, notre position sociale. Les discours que chacun tient sur l’école peuvent être un reflet, plus ou moins fidèle, de ces attentes ; mais ils peuvent aussi dire le contraire, par exemple lorsqu’on a des raisons de camoufler ou de déformer ce que l’on pense vraiment. Enfin, les fonctions de l’école ne disent pas ce que je voudrais que l’école fasse mais ce que l’école fait réellement. Elles sont une donnée objective, indépendante de nos attentes et de nos discours. Pour les dévoiler il nous faut concevoir l’école, non comme une création consciente de quelques hommes, mais comme le produit nécessaire du développement de la société. Un peu comme nos organes — main, jambes, yeux... — et leurs fonctions — saisir, marcher, voir... — apparaissent aujourd’hui comme le produit nécessaire de l’évolution biologique.
C’est donc à une histoire un peu singulière des systèmes éducatifs que je vous convie ici. D’abord parce que les mutations de l’école n’y seront pas expliquées par les lubies de pédagogues ou les ambitions d’hommes politiques, mais par le développement des conditions matérielles qui dictent l’organisation et les contradictions de nos sociétés : les sciences, la technologie et leur impact sur les rapports de production. Deuxièmement, parce qu’à l’encontre de tous les usages en la matière, je ne remonterai pas à l’antiquité. Depuis Athènes et Sparte jusqu’aux Lumières, l’histoire de l’école institutionnalisée, c’est l’histoire de la formation d’élites sociales et politiques. Sauf rares exceptions, ni les esclaves de Rome ni les paysans flamands ou wallons du XVIIIe siècle n’allaient à l’école. Or, c’est à la scolarisation des « enfants du peuple » que je veux m’intéresser. Comprendre son origine et ses mutations, pour mieux appréhender les changements qu’elle traverse aujourd’hui. Cette histoire-là commence avec la Révolution industrielle.

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Mots-clefs : écoles

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