Insoumission quotidienne contre répression ordinaire

Le 13 novembre 2014 peu avant 16h30, deux compagnons fendent le froid hivernal sur leurs vélos, les poumons remplis de liberté. Un ASP [1], aigri par leurs éclats de joie, et un feu piéton [2], dont le passage est vide mais qui est malencontreusement au rouge, seront les deux premiers protagonistes d’une comédie qui manque décidément d’humour.

Le sous-flic prend immédiatement en chasse les deux délinquants sur son scooter, les arrête un peu plus loin, et exige de voir leurs papiers d’identité.

Comment peut-on se sentir libre avec des papiers en poche ? Ces papiers d’identité qui symbolisent le fait que dorénavant tout est sous le plus minutieux contrôle de l’État et de ses laquais, et combien le fait d’en être dépourvu mène aux pire persécutions, dont le placement en Centre de rétention n’est qu’une des nombreuses formes. La surprise exprimée par les renforts de flics venus à la rescousse de l’ASP zélé lorsqu’ils constatent que nos deux cyclistes ne portent aucun document à leur nom sur eux, montre combien le contrôle social est déjà profondément ancré dans les moeurs. Que je sache, rien n’oblige, pas même une loi, à se balader avec ses papiers sur soi !

Parce que le choix ne résiste pas aux arguments de la puissance brute, nos deux amis se retrouvent accompagnés au commissariat du XIe arrondissement, où la machine à humilier se met rapidement en branle. « Ces vélos, vous les avez volés ? » ; « Ce marqueur, c’est pour taguer les murs ? » ; « Qu’est-ce que vous faites avec des lunettes de piscine ? C’est pour les gaz lacrymogènes ? ». Les fouilles-interrogatoires dans ce style sont une spécialité des bleus, et c’est pour se prémunir de leur perversité que les réponses se suivent et se ressemblent « Pourquoi voulez-vous savoir ça ? » ; « Je ne suis pas obligé de vous répondre » ; « Ça vous intéresse, la piscine dans laquelle je fais mes longueurs ? », etc. Variations sur le thème du « je n’ai rien à déclarer ».

Après une heure de prise de tête, les flics se décident enfin à demander leur identité aux deux individus. Identité déclarée, passage chez l’OPJ, un troisième compagnon est en route pour justifier de l’identité des deux autres.

Mais alors même que ce dernier arrive au comico, coup de théâtre, un préposé au fichage s’adresse à nos deux amis immobilisés depuis maintenant deux heures : « on va prendre vos empreintes pour consulter la base, si des fois vous seriez pas recherchés de nos services ». « Vous êtes OPJ ? » ; « Un ami arrive pour justifier notre identité, conformément à la demande de l’OPJ ! » ; « Nous refusons de donner nos empreintes ».

À partir de ce moment, l’engrenage aveugle de la stupidité politico-judiciaire se met en place, placement en garde à vue pour « refus de se soumettre aux prises d’empreintes digitales autorisées par le Procureur de la République » pendant le contrôle d’identité. Départ au cachot, demande d’avocat, de médecin, rien d’autre à déclarer.

Le lendemain matin, ils apprennent qu’on leur ajoute sur le dos deux autres délits, « refus de se soumettre aux prélèvements externes, nécessaires à la réalisation d’examens techniques et scientifiques de comparaison avec les traces et indices prélevés pour les nécessités de l’enquête (sic), alors qu’il existait une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner la commission d’une infraction » et « fourniture de renseignements d’identité imaginaires ». La garde à vue est donc prolongée, quarante-huit heures au commissariat, avant déferrement devant le procureur, six heures au dépôt, convocation à un procès ultérieur et remise en « liberté ».

Durant toute cette expérience paranormale aux frontières de l’absurde, où il est possible de passer plus de 50h dans une totale privation de liberté, dans des conditions de détention humiliantes et dégradantes [3], après avoir grillé un feu rouge sans ses papiers, l’oppression des flics est constante.

Tout le long de la GAV, ils se sont fait un plaisir de les invectiver et de les insulter. « Tu casses trop les couilles, toi ! » ; « Tu vas passer 6 mois en prison pour ça, ça me fait trop plaisir ! » ; « Moi je suis un vrai anarchiste, parce que j’aimerais bien qu’on vive dans un monde où les plus forts pourraient tuer les faibles ». Refus de faire vérifier le contenu de la fouille à la sortie, refus de présenter le procès-verbal de fin de garde à vue, tabassage d’un des deux compagnons qui insistait pour obtenir sa brique de jus d’orange (et qui a du coup écopé d’un nouveau chef d’inculpation, rébellion avec violence), etc.

Les deux compagnons végétaliens ne consomment aucun produit de l’exploitation animale, et les seuls aliments qu’ils ont pu ingérer sont les briques de jus d’orange du matin, il leur a été refusé tout le long d’obtenir le moindre aliment solide correspondant à leur régime alimentaire, malgré leurs demandes continuelles.

Comment luttons-nous ? En quoi se faire incarcérer pour avoir grillé un feu rouge à vélo et avoir tenu tête aux flics est-il politique ? Est-ce « prétentieux », « contre-productif » de ne pas baisser les yeux lorsqu’on nous demande de les baisser ? Comment voulons-nous lutter dans notre vie quotidienne contre l’oppression de l’État, si nous faisons la distinction entre les « bons moments » pour résister et les mauvais ? Nous pensons qu’il est subversif de ne pas rester docile face à l’humiliation et à la pression policière permanente.

Au-delà de toutes ces qualifications juridiques, ce qui dérange le pouvoir, ce sont les quatre premiers mots : « refus de se soumettre ». Nous refusons de nous soumettre à un ordre injuste, jusque dans nos pratiques les plus quotidiennes, lorsque nous voyons des contrôleurs arrêter des pauvres, lorsque nous refusons d’ouvrir nos sacs devant des vigiles même lorsque nous n’avons « rien à nous reprocher », lorsque nous assistons à des esclandres racistes dans le métro, ou lorsqu’on nous demande de présenter nos papiers pour des raisons que nous n’estimons pas légitimes.

Ces pratiques renforcent nos convictions et font disparaître les prises qu’a le pouvoir sur nous. Il ne peut enfermer que nos corps et ne blesser que nos chairs, mais il est nu devant les idées que nous portons.

Les prisons en feu
La justice, sa police et ses matons au milieu

des anarchistes solidaires

Notes

[1Agent de surveillance de Paris, un genre de lèche-bottes du pouvoir en habit fluorescent, qui passe son temps à coller des prunes.

[2Un feu de circulation qui protège un passage piéton. Quelle que soit sa couleur, les vélos parisiens les grillent tous lorsque le passage est vide de piétons.

[3La détention l’est dans tous les cas. L’enfermement d’un être sensible est toujours une torture à vif.

Mots-clefs : anarchisme
Localisation : Paris 6e

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