Fraudeurs, gare à vos fesses, la contre-insurrection veille...

Au petit matin du 16 avril 2014 deux personnes suspectées d’appartenir à la mutuelle des fraudeurs ont été interpellées à leur domicile par des hommes, masqués pour certains, appartenant à la Brigade de Recherche et d’Intervention et accompagnés d’agents de la Brigade Financière...

Keolis et Transpole, une de ses 200 filiales, sont l’entreprise qui gère les transports de la Métropole lilloise. Et surtout, depuis quelques années, avec la complicité de la communauté urbaine de Lille, la multinationale s’emploie à transformer le réseau pour en faire toujours plus un espace de contrôle total, notamment par la multiplication de caméras (2500 embarquées dans les rames depuis 2007) et l’instauration d’un nouveau système de validation sans contact, destiné à remplacer les bons vieux tickets, la carte Pass’Pass.

Sur la transformation sécuritaire du métro lillois, lire :

- Vidéosurveillance : Transpolis, un ticket pour l’avenir
- Nano Brother. La carte RFID dans les transports de la métropole lilloise
- article de Hors-sol sur Transpole et les RFID

En septembre 2009, alors que les élus écolo-socialo-sécuritaires de Lille venaient tout juste d’adopter leur métro du futur et de créditer ce rêve orwellien de 5,1 millions d’euros, se créait la mutuelle des fraudeurs de Lille.

Cette initiative regroupe des personnes qui ne veulent plus payer et qui se donnent pour objectif de « dénoncer les pratiques honteuses de la maire de Lille, de Kéolis et de la communauté urbaine de Lille sur le sujet des transports en commun (tarifs exorbitants, fichage, caméra, pub, flics partout...), de revendiquer les transports gratuits pour tous, de permettre à tous, pour l’instant, de pouvoir profiter du transport en commun sur Lille pour moins cher tout en donnant moins de fric à Transpole et enfin de diffuser l’idée des mutuelles partout pour qu’elles se multiplient ».

Autant dire que la mutuelle tourne bien et que les adhérents se multiplient, ce qui n’est pas du goût des technocrates sécurophiles. Au point qu’en octobre 2013, le nouveau directeur de Transpole, Gilles Fargier, annonçait vouloir initier un plan d’action pour réduire le nombre des fraudeurs à 9 % en 2014. Il suffisait de le demander...

Voila comment, au petit matin du 16 avril 2014, alors qu’elle se rendait au travail, une personne suspectée d’appartenir à la mutuelle des fraudeurs a été interpellée devant son domicile par des hommes, masqués pour certains, appartenant à la Brigade de Recherche et d’Intervention et accompagnés d’agents de la Brigade Financière. Dans les minutes qui suivent, une seconde personne, qui est aussi la compagne du premier, a été interpellée à son tour et leur appartement a été perquisitionné par une dizaine de policiers en quête d’hypothétiques éléments à charge : tout a été retourné sans ménagement et des ordinateurs, de l’argent liquide et des archives sont saisies.

Se sont ensuivies 27 heures de garde-à-vue et d’auditions par la Brigade Financière, sous prétexte d’« incitation à commettre des délits ou des crimes par voie de presse ou tout autre moyen de communication » (Art. 23 ou 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse). C’est le blog de la mutuelle des fraudeurs qui est visé, en ce qu’il inciterait à frauder...

Alors que les auditions étaient en cours, le PDG de Transpole François-Xavier Castelain s’enquérait par téléphone de l’avancée de l’enquête auprès des policiers, tandis que la Voix du Nord s’employait dés le lendemain à faire les liens nécessaires entre la lutte affichée de Transpole contre la fraude et ces interpellations, ayant déjà obtenu des policiers des éléments leur permettant d’affirmer que l’un des interpellés serait « le concepteur » de la mutuelle. La Voix de son Maître, chez qui l’ensemble des journalistes partage un seul et même cerveau avec son directeur de publication, ne peut évidemment concevoir d’autres manières de s’organiser que celle nécessitant l’existence d’un cerveau unique...

Et c’est encore la Voix du Nord, avant même que les deux personnes concernées n’en soient informées elles-mêmes, qui annonçait dans son édition du 14 mai suivant que le procureur Frédéric Fèvre « souhaite voir la procédure bouclée d’ici juillet et que l’affaire soit renvoyée devant le tribunal correctionnel ». Ce n’est pas un hasard encore une fois si le torchon nordiste évoquait dans le même article la tenue d’une « audience spécifique » ce 22 mai à 8h30 pour juger sept « fraudeurs réguliers » (cinq de Transpole et deux de la SNCF) que ce même procureur a voulu pour, cite la Voix de son Maître, « marquer le coup » et faire la distinction entre "ceux qui sont dans le besoin et qui ne peuvent pas payer, et ceux chez qui la fraude est devenue un mode de vie" (France 3 Nord-Pas de Calais, 22/05/2014)

Ce qu’on doit comprendre de cette grande entourloupe métropolitaine, c’est la chose suivante : quand Transpole et la Communauté Urbaine voient rouge, le procureur et la police s’emploient à leur lécher les pieds, prennent l’initiative de faire l’exemple en allant trouver à droite à gauche des fraudeurs par habitude, ainsi que leur prétendue caution politique (la mutuelle des « escrocs des métros et bus ») pour les envoyer au Tribunal, les journaflics locaux se chargent pour leur part de rapporter au peuple la voix de leur maître : « La fraude, c’est mal. Si vous fraudez, on vous bottera le derrière ».

Le 15 mai 2014 à 18h, la mutuelle réagissait en organisant une manifestation dans les rues de Lille au cris de « Avec Transpole, reste pauvre et ferme ta gueule ! ».

Et le 24 mai 2014 à 16h, l’Insoumise organise une discussion « Transpolice : Laboratoire des politiques totalitaires ».

Morale : A Lille, au Brésil ou ailleurs, fraudez pour fêter ce joli mois de mai !

Pour en savoir plus (presse amie et presse poubelle confondues) :

Mots-clefs : fraude | répression

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