Échos du quai Anatole France

Retour sur le rassemblement devant l’Assemblée nationale et les quelques tentatives de débordements avortées... A une prochaine fois !

Mardi 10 mai. Environs de 21 heures.

Lassée d’être nassée, une partie d’entre nous décide de quitter les abords de l’Assemblée pour aller voir ailleurs si les poulets y sont. Bloqués à droite, bloqués devant, bloqués là-bas au loin par une ligne de gendarmes mobiles et leurs estafettes scintillantes, nous prenons la tangente par les berges, en contrebas du quai Anatole France.

À quelques centaines de mètres, la passerelle Léopold-Sédar-Senghor étire ses rondeurs métalliques. C’est la promesse d’une fin de soirée plus joviale que ces éternels corps à corps avec la flicaille qui nous enserrent à l’ombre des colonnades républicaines – ce rassemblement statique devant le Parlement ayant tout de même permis aux amateurs de symboles de noter la présence, sur le fronton de l’Assemblée, au dessus de la tête de Marianne et au pied de son drap de bain tricolore, d’un dôme de surveillance lui-même surplombé d’une caméra plus classique, Big Mother is watching you.

Mais ne perdons pas de vue cette passerelle que nous n’atteindrons pas. Entre la foule et le pont sur la Seine se déploie tant bien que mal une petite dizaine de laquais en armure. La scène est cocasse. Ils occupent mal la trentaine de mètres de large du quai et font tournoyer leurs matraques pour se donner un peu d’ampleur. Rigolards, nous les mettons à mal, simulant des tentatives d’incursion dans leur ligne lâche. Les réflexes de cour de récré sont encore vifs. Malheureusement l’équipe bleue est – comme souvent – incapable de garder son sang froid et compense rapidement son infériorité numérique par le positionnement, dix mètres en retrait, d’un tireur de balles en caoutchouc dont nous doutons que l’équipement soit homologué par la Fédération Internationale de Balle aux prisonniers.

Cette roublardise est sanctionnée par des jets de pierres et d’autres ustensiles trouvés sur place. Le ciel crépusculaire se déchire alors de quelques grenades lacrymogènes tirées du pont et sifflant provisoirement la fin de partie. Pas de réelle panique dans nos rangs - les effets de l’habitude, sûrement - tout au plus quelques cris de ralliement et une voix qui s’époumone. Lorsque le nuage s’estompe nous croisons sa route. Ce jeune homme tempête en couvrant de sa chemise son visage écarlate. Le voilà qui jure, qui s’étouffe dans les vapeurs chimiques à conspuer le nom de ceux qui ont caillassé les gengens. Ce n’était pas le moment, les conditions n’étaient pas réunies, qu’ont-ils donc dans la tronche... Nous le laissons claironner sa sempiternelle chanson quand, soudain, une pépite éclaire de tout son éclat notre soirée, l’ensemble du mouvement et toutes les perspectives révolutionnaires que nous mûrissions en secret :

« La violence, ce sera okay quand elle aura été votée en AG ! », hurle-t-il à la mort.

Des éclats de rires accueillent la sentence. Quelques applaudissements aussi que l’on devine ironiques. Derrière la vitre épaisse d’une péniche de luxe, à quelques mètres de là, des couples tirés à quatre épingles poursuivent sans broncher leur leçon de salsa. On se dit alors qu’il y a dans nos émeutes, même celles qui échouent, un réjouissant souci du détail.

Mots-clefs : nuit debout | 49-3
Localisation : Paris 6e

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