Échec des blocages routiers mais la droite continue sa montée

Des routiers avaient annoncé ce lundi 2 décembre continuer leurs protestations contre l’écotaxe mais ont rapidement dit aux environs de 9h du matin qu’ils n’étaient pas assez nombreux finalement pour tenir ces blocages. Ils protestent contre ce qui augmenterait de 20% leurs frais, et rendrait impossible leur travail, disent-ils, face à la concurrence des « routiers étrangers ». Le problème ce serait le « dumping social ».

C’est souvent dans « Le Parisien » qu’on trouve à glaner un peu d’infos sur tout ça, rien d’évident pour s’y retrouver et clarifier exactement ce qu’il se passe et pourquoi.
Après une mobilisation samedi 30 novembre assez important, des routiers avait appelé lundi 2 décembre à un blocage massif des autoroutes de France. Ils se mobilisent en ce moment mais ne se confondent pas exactement avec les « bonnets rouges » de Bretagne. Leur contestation part de la défense de leur travail [1] et reprennent des argumentaires politiques très confus qui n’ont souvent pas grand chose de « gauche » et s’appuient (surtout pour les routiers) sur l’opposition aux travailleurs étrangers et la bonne santé de l’économie. Deux posts du compte twitter des blocages routiers donnent un peu le ton :

- Si si, la France est souveraine et indépendante.

  • En fait tous nous demandons une décroissance des lois ubuesque qui compliquent tout . Simplification et pragmatisme

Un routier qui joue dans les médias le rôle du routier déterminé et qui n’a rien à perdre a créé un collectif à son nom et s’auto-proclame porte-parole modèle de la colère qui gronde. Publiquement, il apparaît comme l’homme fort qui ne s’en laisse pas compter, le gars honnête et travailleur contre l’absurdité des gouvernants et qui n’a pas peur de leur dire combien ils sont idiots :

Le collectif Spinelli qui appelle au blocage des routes ce matin dès 6 heures, c’est lui. « Je suis le précurseur de la protestation contre l’écotaxe, l’impôt le plus crapuleux que la République ait inventé ! » claironne Alain Spinelli, 62 ans, qui reçoit ses visiteurs en jean avec un cigarillo aux lèvres. Costaud, la langue bien pendue, le patron de Spinelli Déménagement, qui a commencé à travailler à 14 ans comme coursier puis chauffeur-livreur, ne conduit plus de camions depuis sa retraite, en 2011.

Mais il en possède encore deux et, après quarante ans de militantisme routier, il est plus que jamais syndiqué à l’Otre (Organisation des transporteurs routiers européens), où on parle de lui comme d’« un homme au tempérament très fort ».

« C’est un ultra. Il s’est radicalisé mais il porte la parole des petits chefs d’entreprise qui voient mourir leur société et n’ont plus grand-chose à perdre », analyse Gilles Mathelié-Guinlet, secrétaire général de l’Otre, qui soutient du bout des lèvres le blocage des routes de ce lundi.« Un échec de cette mobilisation décrédibiliserait notre mouvement. »

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C’est un style assez classique de l’opposition « politique » ces dernières années, le côté gars du peuple au travail qui a galéré toute sa vie pour réussir et que le gouvernement condamne à la banqueroute. Il aurait le discours des petits patrons responsables et bien de chez nous qui font face à la violence ultra-libérale.
Comme il le dit à la fin par contre, la mobilisation n’a pas beaucoup rassemblé de conducteurs ce lundi matin et le dit collectif Spinelli a dû annuler ses menaces de blocages.

Moins de trois heures après le début de la manifestation, les routiers ont mis fin à leurs opérations escargot en France, lundi.

Certains étaient déçus sur la page facebook du collectif :

- Encore beaucoup de grande gueule !!!!! Derrière leur écran .... Et quand faut agir il y a plus personne !!!!

  • vraiment triste et les absents seront les premiers a raler si cette mesure est appliquée toujours les mêmes qui attendent que les autres fassent le boulot mais ça c’est typiquement Français , y a que lorsqu’il a les pieds dans la merde qu’il se bouge ce n’est pas pour rien que l’on a le coq comme emblème

Touchant immédiatement à un important secteur du travail, ce genre de protestations a vite de l’écho auprès du gouvernement (et un soutien massif de la part des politiciens de droite).

Le ministre cuvillier des transports va remettre a plat l ecotaxe et la concurrence déloyale avec la ctle, confédération du transport et de la logistique européenne dont le collectif spinelli est l’un des membres fondateurs !
Malgré la faible mobilisation Alain Spinelli va etre reçu au ministère des transports

pour une remise a plat du dispositif

Une part très importante du transport des marchandises est assuré par les routiers, et en l’occurrence par des routiers de différents pays européens. Au sein de la zone européenne tout ces routiers sont en concurrence et il semble à ce qu’en disent les routiers « français » que les autres (Bulgarie, Roumanie à ce qu’ils disent mais à vérifier) ont l’avantage sur eux de ne pas avoir à respecter les mêmes contraintes et normes de travail. Le patronat des capitalistes de la route profite du mélange de différentes conditions de travail sur un même territoire à des salaires très différents pour mettre la pression sur les uns comme sur les autres et produire des divisions voire des haines entre travailleurs plutôt que toute autre question vers autre chose qu’un travail surexploité dans tout les cas. La haine des étrangers est mise en avant pour éviter d’avoir à parler d’autre chose et ces divisions internes devant avant tout servir à mettre tout le monde au travail.

Et dans le cas des contestations ces temps-çi, les routiers se lâchent dans les discours racistes. A les entendre, ceux chez nous se battent contre les autres qui profitent de ne pas avoir à respecter les réglementations trop strictes des routes françaises. Ils mettent même en danger tout le monde en roulant trop vite, ou piquent en siphonnant du gazole à des camionneurs français et de là viendraient tout les problèmes :

Mais l’écotaxe n’est pas leur seul cheval de bataille. Il y a aussi le dumping social : ces étrangers souvent sous-payés qui roulent sur nos routes, sans contribuer au système social français et qui contraignent au chômage nos routiers.
Sur un forum de routiers est paru récemment le cri du cœur d’un contributeur – routier de métier et français, pour lequel le crash de Mory, 5000 emplois sans compter les sous-traitants et autres loueurs – était la dernière goutte d’un vase trop plein. Permettons-nous de le citer : « les transporteurs qui ont viré leurs français pour les remplacer par du pas cher sont légion et on ne peut pas reprocher à nos voisins de ne pas faire pareil, remorques belges tirées par des camions slovaques conduits par des roumains parce que c’est encore moins cher, camions espagnols et chauffeurs bulgares, routiers brésiliens importés par des boites portugaises, j’ai vu un géorgien dans un camion lituanien tirant une remorque allemande. » Qui exploite leur travail, comment ça se passe et où ? Est-ce qu’on peut encore parler de transport routier français et pour combien de temps ?]

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Plus encore que dans d’autres pays, les routiers français sont étouffés par une réglementation très tatillonne : sur les heures qu’ils circulent, les excès de vitesse, mais aussi les routes qui leur sont interdites (notamment en Île de France) et les jours de fermeture des circulations, toutes règles connaissant – on est en France – des exceptions qui se chevauchent et se contredisent jusqu’à former un maquis inextricable. Les routiers étrangers n’y sont guère habitués.

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Ils parlent moins de leurs conditions de travail en France (qui sont sûrement assez misérables) que de ces étrangers qui serait la cause de leur malheur. Une vague de fond de pensée de droite déplace des conflits qui pourraient se jouer sur les conditions de travail vers des enjeux de barrage des frontières et de défense d’une nation contre une autre. Depuis l’arrivée du PS en tête du gouvernement, la droite ne cesse de déplacer voire lancer (si l’on pense à la contestation du mariage homosexuel) des mouvements de contestation des décisions étatiques, et se fait par là une nouvelle image. Avec toute la mobilisation contre le mariage homosexuel, des jeunes convoquaient le mouvement contre le CPE et par là tout l’imaginaire d’un mouvement social mais repris sur des bases de droite. Les gains de ces mouvements importent moins que le mouvement de fond dont ils témoignent, cette politisation de droite, et l’installation d’un bon sens nationaliste souverain, la France contre les immigrés et les fainéants, vieux discours certes mais qui ces temps-ci reviennent très souvent. La stratégie du PS (qui n’a pas changé depuis les années 80) de diabolisation du FN et de l’extrême-droite n’est contre tout ça d’aucune utilité, bien au contraire. Outre le fait qu’elle manipule et reprenne à son compte en les transformants des conflits bien réels (en créant sos racisme et consorts [2]), cette stratégie du PS ne vise qu’à invisibiliser les tensions et produire une menace de droite en faveur d’un vote utile pour la gauche.

Et exemplairement ici, la droite joue sur le même terrain, il va falloir voter utile pour eux pour la souveraineté nationale contre l’invasion des barbares et tout ceux qui profitent. Pour les routiers, le problème plus large ce serait le « dumping social » :

Ils reprennent même les inversions qu’ont effectué les fachos de Casa Pound en Italie. Ces derniers sont contre l’immigration illégale mais n’affirment pas cette position sur une base raciale, ils retournent l’accusation en disant que ce sont ceux (de gauche) qui laissent faire et laissent passer tout ces travailleurs condamnés ensuite au travail au noir et à la misère qui sont « esclavagistes ». Casa Pound défendrait pour eux un meilleur travail, mais chez eux. Dans l’article cité plus haut sur le dumping social, même inversion, l’auteur et les routiers sont presque outrés de tout ce travail sur-exploité que font les roumains et bulgares, ils trouvent ça bien triste :

Des travailleurs sur-exploités et sous-payés : bienvenue chez les négriers modernes
 
Et les travailleurs ? Eux non plus ne trouvent rien à redire. Il y aurait pourtant de quoi. Ils couchent bien souvent dans leur camion, et y mangent aussi parce qu’ils n’ont pas les moyens du resto routier – ce qui contribue aussi à couler largement toute cette économie là.

La confusion politique de ces contestations tient à toutes ces inversions et la transformations des divisions que s’active à produire la droite ces dix dernières années. Plus de bataille face aux patrons mais face aux patrons étrangers qui exploitent des immigrés et détruisent « notre » économie, plus faire face au chômage mais attaquer les fainéants, pas défendre le droit du travail mais moins restreindre la liberté d’entreprendre etc. Pas question des conditions de travail mais des divisions nationales et raciales. Comment parler des conditions de travail des routiers ou des effets de la déréglementation du droit du travail (et ici la coexistence de différentes normes, entre les routiers français contraints à certains horaires et les autres d’Europe pas du tout) sans que la solution politique se traduise comme repli sur soi et murs aux frontières ?

Si ça ne peut suffire, la critique de leur discours doit être faîte et plus précisément que par l’usage immédiat de l’accusation d’extrême qui dessine souvent trop vite le camp des gentils blancs purs face aux méchants racistes. C’est un début, et le reste est une question, comment mettre en acte la disparition de leurs bêtises ?

Notes

[1Dans le cas de la défense des centres équestres, c’est particulièrement frappant. Ils se battent pour sauver leur emploi, leur métier, et que l’état les aide plus que les condamne à perdre face à la concurrence des travailleurs étrangers ou plus largement la crise économique

[2Il y a beaucoup plus à dire sur toute cette histoire, que l’on nous excuse cette évocation rapide

Mots-clefs : austérité | libéralisme
Localisation : Paris

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