Donald Trump, la gauche et le vote ouvrier

« Les discours de la gauche et de la gauche radicale à ce propos se résument à deux positions symétriquement opposées, et qui ne font qu’essentialiser la classe ouvrière. D’une part le mode du mépris de classe pur et simple, le même qu’on a pu observer pour le Brexit, qui consiste à dire que ces gens-là sont totalement incultes, désorientés, fondamentalement racistes, misogynes, etc., et que la gauche a pour mission de les civiliser et de leur donner le goût du progrès ; position qui prend des nuances plus paternalistes dans la gauche électorale type Mélenchon. D’autre part la gauche radicale, des trotskistes aux anarcho-communistes, qui optent pour le déni pur et simple : la classe ouvrière n’est pas comme ça, le vote réactionnaire ouvrier est un mythe lui-même réactionnaire : c’est bel et bien la classe moyenne et la petite bourgeoisie qui incarnent le fascisme trumpien, la classe ouvrière n’a rien à voir avec ça, elle est pure en son essence. »

L’élection de D. Trump à la présidence des États-Unis, outre toutes les questions qu’elle pose quant aux changements dans la politique américaine qu’elle est susceptible ou non de provoquer, a suscité dans la gauche internationale un débat dont la question centrale peut se résumer à ceci : La classe ouvrière américaine a-t-elle, oui ou non, massivement voté pour Trump ? Question sous laquelle se trouve celle-ci : La classe ouvrière est-elle réactionnaire ?

Le « rêve américain » était bel et bien un rêve, une production idéologique, mais ce rêve s’appuyait sur des réalités socio-économiques bien matérielles : qu’il se poursuive aujourd’hui, alors que ces réalités sont largement dépassées, est ce qui lui donne son aspect cauchemardesque.

Cette question peut recevoir une réponse rapide par l’examen des statistiques électorales : non, naturellement, ce n’est pas la classe ouvrière à elle toute seule qui a fait élire Trump, et elle n’a même pas voté en masse pour lui. La classe ouvrière reste par ailleurs largement la classe de l’abstention. Mais si l’élection de Trump reste massivement le fait d’un électorat républicain classique, elle comporte cependant une tonalité ouvrière marquée dans les anciens États industriels du nord-est, ce qui, couplé avec le manque d’enthousiasme pour le vote démocrate, a sans doute fait pencher la balance électorale en faveur de Trump. Et c’est là où peut-être le bât blesse : dans ce résidu insoluble de la présence décisive du vote ouvrier, qui ne passe pas, qui apparaît comme une impureté dans cette élection, qui fait tache.

Ce qui ne passe pas, notamment dans ce qui reste de la gauche et de l’extrême gauche, c’est d’abord que « la » classe ouvrière soit en réalité largement segmentée. « Le » prolétariat, qu’on l’entende comme « la classe de ceux qui produisent directement la plus-value » ou comme « ceux qui n’ont rien d’autre que leurs bras pour vivre » ne recouvre aucune réalité sociale homogène, et ceci n’indique pas tant une « difficulté à s’organiser » ou des « divisions » à surmonter qu’une réalité relevant de ce qu’il est structurellement dans le monde capitaliste.

Cette segmentation n’est pas neutre, elle s’articule nécessairement au sein des instances du capital : en raison de la réalité matérielle de son implication réciproque dans le mode de production, le prolétariat industriel « classique » (ce qu’on entend généralement par « classe ouvrière ») est une réalité hétérosexuelle, blanche et masculine. « Toutes les catégories du capital sont sexuées » (TC), et le prolétariat est une composante de ce mode de production. De même, le prolétariat n’a pas rien à voir avec l’idée de Nation : il n’est pas spontanément internationaliste, car il est embarqué avec « ses » capitalistes nationaux dans la concurrence mondiale, et dans le procès de mondialisation capitaliste.

Le prolétariat américain qui a voté pour Trump, c’est avant tout celui des anciennes zones industrielles, la fameuse Rust Belt, ex Manufacturing Belt, et il apparaît dans son existence de classe aussi rouillé, désuet et hors d’usage que ces usines : cassées les usines, cassée la classe. Le « rêve américain » était bel et bien un rêve, une production idéologique, mais ce rêve s’appuyait sur des réalités socio-économiques bien matérielles : qu’il se poursuive aujourd’hui, alors que ces réalités sont largement dépassées, est ce qui lui donne son aspect cauchemardesque.

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