COP21 : l’université de Tours se met au vert

A quelques semaines de la conférence sur le climat qui se déroulera à Paris, l’université François Rabelais « s’engage » pour « sensibiliser la communauté universitaire ainsi que la société civile sur le changement climatique et ses conséquences ». Petite présentation de ce merveilleux programme.

Rappelons d’abord en quelques mots ce qu’est la COP21 : une conférence internationale qui aura lieu à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015, réunissant tout le gratin mondial, pour « aboutir à l’adoption d’un premier accord universel et contraignant sur le climat pour maintenir la température globale en deçà de 2°C ».

Des conférences de ce type sont organisées à intervalles réguliers, sans bouleverser le cours des choses : la destruction des ressources naturelles et le réchauffement climatique se poursuivent inlassablement, au nom du développement économique et de la croissance.

Pour mesurer le caractère ridicule d’une conférence comme la COP21, il suffit de lister quelques uns des « mécènes » de l’événement : Michelin, Air France, Renault Nissan, EDF, Ikea, l’Oréal, Carrefour ou JCDecaux. Confier les questions environnementales à des fabricants de pneus et à des installateurs d’écrans publicitaires, voilà un gage de sérieux.

L’université de Tours s’engage

Pas question, donc, pour l’université François Rabelais, de rester en marge de cette mobilisation générale. « La COP21, c’est aussi chez nous ! » déclare l’affiche floquée des logos de la fac et de la communauté d’agglomération [1].

Première étape d’une bonne session de greenwashing : repeindre son logo en vert

Les festivités commenceront le 2 novembre prochain, avec une soirée de lancement en présence de Pascal Greboval, rédacteur en chef du magazine « Kaizen », Aude Raux (journaliste contribuant à Kaizen), Guillaume Sainteny et Isabelle La Jeunesse. Kaizen, c’est un magazine qui appartient à la sphère des Colibris, le mouvement lancé par Pierre Rabhi. Et sur son site, on apprend que la conférence de lancement du 2 novembre est une « conférence Kaizen » et qu’ils sont co-organisateurs de l’événement. Kaizen, ce sont des recettes pour faire sa lessive soi-même, la présentation d’un verger permaculturel au Québec ou un article expliquant comment « déménager autrement, avec des cartons recyclés et solidaires ».

Comme le mouvement auquel il appartient, ce magazine est là pour promouvoir des initiatives positives, parce que la négativité c’est mal. Comme l’explique leur mentor Pierre Rabhi :

« Je n’emploierais pas le terme « combattre » qui nous replace dans la dualité, cette dualité qui n’existait pas avant que l’être humain n’advienne sur la terre. La dualité majeure de notre époque est celle qui oppose l’humain à la nature, à la vie, à sa vie. Aucun avenir ne pourra se construire sans sortir de cela, sans retrouver une coopération avec la vie, avec la Terre-mère. (...) Il ne s’agit pas de protester contre ceci ou cela sans rien changer en soi, mais plutôt d’incarner une sorte de protestation positive par nos actes quotidiens, de participer intimement au changement du monde par notre propre transformation. »

Toute forme de conflictualité est évacuée dans les discours comme dans les actes. L’idée défendue, c’est qu’à force de créer des AMAP et des habitats partagés dans le Gers, on finira par changer le monde. Chez Dow Chemical, Chevron, GDF Suez, Total ou Lafarge [2], on tremble.

Bref, l’université s’est trouvée des partenaires de choix pour présenter un discours écologique le plus consensuel possible. Et toute la programmation reflète cette volonté.

On trouve par exemple un atelier « Sensibilisation aux éco-gestes », à l’occasion duquel

« l’Agence Locale de l’Énergie abordera la question des économies d’énergie pouvant être réalisées au quotidien afin de réduire sa facture d’énergie et, plus largement, son empreinte carbone. Seront abordés les thèmes de la cuisson, de l’éclairage ou encore du multimédia, le tout en actions ! »

Car c’est bien connu, le réchauffement climatique, c’est parce que t’as pas coupé le robinet en te brossant les dents. Salaud ! On espère que cet atelier nous permettra quand même de trancher la question suivante : est-il préférable de faire chauffer l’eau des nouilles dans la casserole ou avec la bouilloire ?

Débat international et entrepreneuriat responsable

Évidemment, un cycle comme celui-ci serait incomplet sans un peu de participation citoyenne. Alors, le 5 novembre, venez participer à un « débat citoyen planétaire » — mais n’oubliez pas de réserver, quand même —, présenté dans les termes suivants :

« La lutte contre le réchauffement climatique n’est pas seulement l’affaire des gouvernements, des négociateurs, des grandes collectivités ou des entreprises ; c’est avant tout l’affaire des citoyens, de tous les citoyens.
Il est essentiel que les citoyens du monde prennent part aux négociations de la COP21 de Paris et fassent entendre leur voix à l’échelle planétaire.
Cet accord ne peut se passer d’eux. Il est donc important de leur donner la parole.

L’objectif de ce débat n’est pas de réaliser une enquête, un sondage ; il s’agit avant tout de recueillir l’avis de citoyens éclairés. Cette soirée sera organisée en deux sessions d’une heure, suivi d’un cocktail durant lequel seront présentés les résultats de cette soirée, en comparaison avec ceux issus des débats menés dans l’ensemble des régions du monde. »

T’auras donc deux heures pour donner ton avis (à condition d’être éclairé) sur le réchauffement climatique. Au cas où tu sècherais, voici une suggestion de réponse : « le réchauffement climatique, c’est mal ». Pour le reste, t’as intérêt à faire court, le micro doit circuler.
Donc, après deux heures de débat de fond, tu pourras aller t’envoyer un verre de péteux au buffet, où on comparera les résultats de ce débat à d’autres menés ailleurs. Un espèce de benchmarking à l’échelle mondiale, voilà qui est moderne et diablement participatif ! Par contre, on n’a pas de détails sur la manière dont seront calculés les « résultats » du débat. Peut-être la quantité d’air brassée ?

Il y aura aussi une conférence « Épargnons le climat », où il sera question de « placer son argent (épargne, placements) vers des produits financiers au service de la transition énergétique, du soutien à l’agriculture paysanne, aux entrepreneurs responsables ». Sérieux, les gens d’Attac, vous avez pas honte de participer à ce genre de trucs ?

Ne ratez pas non plus la conférence sur la rénovation énergétique de l’habitat, où l’on abordera les grands enjeux de la COP21, c’est-à-dire l’isolation, les menuiseries, la ventilation, le chauffage et le rafraîchissement d’un bâtiment. Ou bien la visite pédestre sur le thème des mobilités douces.

« Alors qu’est-ce qu’on va leur dire à nos enfants ? »

Enfin, le 18 novembre, Mélanie Laurent viendra présenter son film sur le climat, intitulé Demain, sur le thème : « Alors qu’est-ce qu’on va leur dire à nos enfants ? Qu’il n’y a pas de solutions ? C’est ça qu’on va leur dire ? ». Dans la bande-annonce, quand une voix parle d’« un autre monde qui respecte la nature et les humains », on voit un champ d’éoliennes et de panneaux solaires... Gros potentiel comique en perspective, pour la somme modique de 4 euros. Notez que le co-réalisateur du film, Cyril Dion, est l’un des fondateurs du Mouvement des Colibris, et directeur de la rédaction de Kaizen...

Tout le problème de l’approche environnementale aujourd’hui, des Colibris à l’ADEME en passant par le Grenelle de l’Environnement ou encore le mouvement des Villes en Transition tient dans la négation constante de la question sociale et des antagonismes sociaux. La société ne serait qu’une somme d’individus, et non une équation beaucoup plus complexe faîte de multiples dominations. L’individu éclairé, l’empowerment et le libre arbitre restent encore les dénominateurs communs de toutes leurs théories. Il n’y aurait rien à remettre en cause au-delà. Quant à la marchandise, sa disparition n’est jamais évoquée : il n’y aurait qu’à jouer sur le curseur consommation/production pour qu’elle devienne vertueuse. Et face à celle-ci le genre humain ne devrait être qu’une somme d’individus-consommateurs responsables.

Responsable au regard de qui ? de quoi ? de quelle transcendance ? Ça, personne dans ces milieux ne vous le dira. Tout tient dans l’éthique selon eux… A tout dire, il y aurait plutôt à voir là les bases d’un Enfer Vert : Développement Durable ou Capitalisme Vert, au fond ça veut dire la même chose. Avec ou sans température moyenne globale à +2°C, ce sont toujours les mêmes qui trinqueront. Du moins s’il on s’en tient à tous ces discours.

Bref, avant que les chefs d’État et les industriels viennent à Paris statuer sur la quantité de pollution raisonnable qu’ils pourront rejeter dans l’atmosphère, on amusera le public tourangeau avec une vision naïve, dépolitisée et individualisante des enjeux climatiques. Éteins la lumière et sois positif, tout ira bien. Merci l’université !

Note

Initialement publié sur http://larotative.info

Notes

[1On a notamment pu retrouver cette superbe affiche au dos de La tribune de Tours...

[2Qui font partie des entreprises qui émettent le plus de gaz à effet de serre au monde.

Mots-clefs : université | capitalisme vert

À lire également...