Confusion d’esprit ? Ou Esprit de Confusion ? NUMÉRO 2.2 de la Brochure PASTICHE

Le NUMÉRO 2.2 de la Brochure PASTICHE est consacrée à l’auteur Francesco Masci. Intellectuel controversé mêlant histoire de l’art, théories révolutionnaires et philosophie, Masci compose une œuvre critique troublante, indistincte, magnétique. Son influence, aussi grandissante que son ambiguïté, nous impose une toute autre lecture de sa production théorique.

« L’admiration intellectuelle est une chose, l’affinité politique en est une autre. »

Perry Anderson, 1998.

Francesco Masci sembla longtemps être un de ces camarades dont la sévérité pouvait sembler raisonnable, saine, le goût excessif du châtiment en prime, aux désespérances vives et tenaces.

Ses allégations toutes contradictoires, ses élans puristes et son autosuffisance, ses assauts puérils contre la bien-pensance, la morale, nous ont tous séduit. Ses persiflages hautains, son méta-réquisitoire contre le mythe révolutionnaire, les avant-gardes, l’héritage « hypocrite » des lumières, contre les artistes, philosophes, journalistes, éditeurs, sociologues, universitaires, architectes, restait composé d’une érudition variée et scrupuleuse. Même sa condamnation de la foi en un « développement providentiel de l’histoire », pourtant vite rattrapée par quelques-unes de ses extrapolations prophétiques ne nous incommodèrent en rien ; puissent ces armes profiter aux débats.

Nous exposons ici quelques-unes de ses notions, afin que celles/ceux qui, encore étranger-es aux travaux de l’auteur, puissent en esquisser l’intention :

« Avec les premières secousses des avant-gardes, les révolutions mêmes ont commencé à représenter en soi des nouveautés déjà caduques. » (Superstitions)

« Avant qu’il n’émigre vers la politique, l’art à longtemps été le milieu naturel du "sujet critique", l’animal d’élevage le plus perfectionné de la modernité, celui qui est capable de produire le plus grand nombre de représentations qui débordent le présent et en même temps figure le futur. Animal parfait parce qu’il nourrit le monde d’événements en même temps qu’il s’en nourrit lui-même. » (Superstitions)

« La critique de la culture est la fille effrontée des Lumières, lorsqu’elle découvre avec force prouesse dialectique, que le libéralisme entretient depuis longtemps une catégorie particulière de fous de cour – la nouvelle classe des imprécateurs professionnels –, dont la tâche consiste à lui débiter des vérités désobligeantes devenues parfaitement inoffensives. » (Entertainment !)

« Dès que son existence pourra être réglée comme une banale question d’ingénierie moléculaire, la vacance culturelle de l’homme prendra fin. Passée entièrement sous l’administration de la technique, la vie de l’homme n’aura plus besoin d’être doublée par sa représentation. Ayant fini par fusionner, le monde des faits et le monde des fictions laisseront finalement afficher le vide qui a toujours constitué les images. Ce sera le black-out de tous les événements. Et c’est seulement à ce moment-là que cette vision du néant qu’on appelle nihilisme cessera d’être une représentation. » (Entertainment !)

« L’"homme du désir" est une subjectivité fictive qui a fini par acquiescer à sa condition d’animal non-politique. Ce ne sont pas des mantras nietzschéens qui le soustrairont à sa position ontologiquement subordonnée. "La liberté, l’irresponsabilité, la solitude et la joie "façonnent le producteur-consommateur parfait, celui qui n’hésite pas à jeter sur le marché des portions de sa vie privée. »(L’ordre règne à Berlin)

Teintée d’un apport situationniste manifeste, pourtant éternellement nié, Francesco Masci compose une œuvre critique troublante, indistincte, magnétique, aux relents post-modernes et narcissiques.

Sa fascination patente exprimée pour Heidegger, Schmitt, la pensée conservatrice, nous avait déjà inspiré un certain scepticisme, or aucune suspicion. Ses prises de positions, aussi racoleuses qu’insolentes portaient en elles des remarques à la sagacité proscrite, même lorsqu’elles s’amusaient d’ambiguïtés taquines, comme dans ce passage d’ « Entertainment », où l’auteur moque les attractions radicales -mais parfaitement admises- des squats berlinois, en y opposant sur le même plan la figure du skinhead délaissé de toute considération faussement humaniste.

« Le touriste de la révolte voyageait pour se reconnaître, il s’attendait à Friedrichshain et il s’est retrouvé. Il n’ira pas plus loin. Il n’ira pas à Marzhahn. Dans le vide des barres de l’époque RDA à l’abandon, parmi des bandes de skinheads à l’hostilité inassimilable sur lesquelles ne se réfléchit pas le regard bienveillant des sociologues, sa figure n’étant pas été prévue, il deviendrait tout simplement inexistant. »

Ici, le caractère inassimilable de l’hostilité chauvine, xénophobe ou plus simplement réactionnaire, semble pouvoir exprimer en substance le signe d’une authenticité - si ce n’est supérieure - au moins égale à toute radicalité se parant d’alternativisme, « soutien inconditionnel de la mairie » et empathie d’expert à l’appui.

Une réflexion inconvenante dont on pourrait affirmer « l’audace » si Masci lui-même, paradoxalement, n’était pas devenu lui aussi, et ce depuis de nombreuses années déjà, l’inconditionnel curiosité sollicité par le monde folklorique des Beaux arts, afin d’y animer des monologues -aussi esthetico-radicaux soit-ils-. Se pourrait-il alors que l’hostilité assimilable de toutes ses analyses ne soit en réalité que le fruit d’une exclusivité académique ? Frivole ? Snob ? Élitiste et pleine de vanité autonyme ?
Ce malicieux sadisme voué aux contre-cultures gauchistes, anarchisantes ou autonomes -et celles-ci seulement- aurait put, aussi, diminuer notre enthousiasme.

Seulement, toutes ses autopsies de milieu incluaient aussi une connaissance critique notoire, même avec le style tranchant du pessimisme le plus manichéen, polémique ; nous accordions ainsi à ses observations une certaine légitimité. Notre entêtement s’appliquait à percevoir dans le discours du pamphlétaire, un énième effort philosophique consacré au dépassement d’une désillusion de parcours, désenchantement toujours forgé de navrante naïveté.

Au cours de l’été 2014, Francesco Masci exposa de nouveau son inconsolable goût du paradoxe, signa avec Alessandro Tinelli une vidéo performative [1] sous la forme d’un manifeste, où l’on peut toujours le contempler ânonner un texte sur la mode.

Relayée par divers sites aux mondanités dandy-pop, c’est une autocélébration sinistre, à l’esthétisme underground chic, entre le pathétique et le burlesque, que l’on nous conviait à méditer. Une étrangeté Hype que nous nous étions empressé de pasticher ; sans retour, ni de la Maison Allia [2] à laquelle nous avions manifesté notre consternation, ni du penseur lui-même.

Néanmoins,
ce jeu pénible de la controverse s’essouffla lamentablement sur le témoignage.

La confrontation au « réel », étant l’expérience essentielle à toute forme d’entendement, fût l’occasion de nier la présomption par les faits ; de saigner l’hypothèse d’une confirmation.

Car lorsque les discordances se font unitaires, que les confusions se mêlent aux culminances de l’absurde, les cautions s’évanouissent, sans mièvre consolation.

Faute au compte twitter de M. Masci si nos vains prétextes s’effondrèrent parfaitement. Nous qui voulions singer, dans un sursaut d’indulgence, les approbations univoques que remportait le bel esprit ; nous faillîmes...

De stupeur et d’embarras.

« Châtie ton fils, car il y a encore de l’espérance ;
Mais ne désire point le faire mourir. »

Proverbes 19:18

Le 18 novembre 2015, Masci retweetait un post de Renaud Camus, théoricien du grand remplacement et de son corollaire la remigration, Pro-FN, idéologue des mouvements identitaires, ethno-differencialistes, anti-métissages et Laïques chrétiens. Un tweet moquant la qualité « déplorable » du français prononcé par certains professeurs d’université. En effet, une question sociétale follement séditieuse.

Le 16 décembre suivant, Masci retweetait de nouveau Camus, afin de propager la Revue de son parti, parti qui « propose une voie à ce jour inexplorée, au-delà des clivages traditionnels ».

Le 21 décembre, Masci retweetait un article du magazine à tendance souverainiste Causeur, dirigé par le pendant féminin d’Eric Zemmour, Elisabeth Levy. Un article intitulé : « Aram contre Le Pen : ça dérape pas mal à Paris ! Antifascisme en carton-pâte, le retour ».

Une publication mêlant champs lexicaux dès plus raffinés - « sans-frontiérisme européiste » en tête -, défense d’une Marine Le pen « diffamée » par une saltimbanque radiophonique - ô supplice - et concluant sur une satire aussi molle et bourgeoise que ceux et celles à qui elle se prédestinait ; quelle subversion encore !

le 28 décembre enfin, alors que Renaud Camus se livre à un déchaînement épileptique vis-à-vis des événements corses. Masci retweete une des « fulgurances » exaltées de l’auteur : « Entre vivre ensemble, il faut choisir. »

À ceux qui nous soupçonnent déjà d’être trop plein de soupçons, comprenez que le compte twitter de M. Masci ne transpire d’aucune frénésie, parait plutôt être guidé par le souci d’une sélection consciencieuse ; une transmission ne pouvant donc pas être le résultat étourdi d’une appétence virtuelle débordante. Par ailleurs, rares sont les tweets qui franchissent l’anneau fragile des hashtags affectés aux louanges, et ce pour des motifs politiques. Cette exception révèle aussi la valeur d’une telle communication, que nous ne pouvons plus considérer comme anecdotique.

Le phénomène présent n’est malheureusement pas isolé, les stigmates arborés avec exagération par ce conservatisme tout à fait contre révolutionnaire parviennent à conquérir les quelques cœurs déçus de tous les simagrées gôchistes, tartufes et seulement moralistes. La « censure » qui leur semble être imposée voudrait rehausser la médiocrité de leurs propos, mais même une pseudo-censure ne gage d’aucune grande pensée. Et dans ce cas précis, le simulacre de martyre convainc peu.

Comme le skinhead berlinois, l’extrême droite finit par porter le ruban de la contestation symbolique ; Figure véritable de l’exclus, marginal et rebelle, à qui on ne donne aucun crédit démocratique, un simple mépris médiatique - ô lamentations -.

Un glissement politique ( ? ) assez ordinaire, dépendant des cycles d’hybridations des mouvances extrêmes, conséquences des troubles économiques, culturels, religieux ; banalités des siècles, banalité funeste tout de même.

Car dans un entretien datant du 9 juin 2011 [3], Masci, deuil de l’histoire en bouche, dégorgeait déjà une réflexion fondamentale que notre inattention répertoria aux simples Laïus :

« (...)je regrette le moment pendant lequel la domination était politique, quand elle avait un rapport positif au pouvoir, avec tout ce que cela implique, c’est-à-dire la possibilité laissée ouverte pour des vrais conflits dans un champ structuré politiquement en ami/ennemi. »

De ces mots surgissent une interrogation pressante.

Une confusion de l’esprit ? Ou du net confusionnisme ?

Afin de dissiper nos positions de toute cette commodité relativiste plus obscure qu’impertinente, souvenons-nous des mots d’un Bernard Lazare à la lucidité vorace :

« Pour le plus grand nombre sont révolutionnaires tous ceux qui entreprennent la critique violente du présent, tous ceux qui professent la nécessite du changement social. C’est là s’attacher au-dehors de la doctrine révolutionnaire ou, pour mieux dire, c’est n’en considérer que le côté négatif qui appartient plus ou moins à tous les partis ; c’est aussi confondre la violence extérieure et verbale avec la hardiesse de la pensée subversive. Si on se borne à cette conception il devient évident que M. Édouard Drumont par exemple, est un révolutionnaire. Si cependant on ne tient compte, comme cela devrait être, que des doctrines positives, M. Drumont apparaît ce qu’il est réellement, c’est-à-dire le pire des réactionnaires, parce qu’au contraire de ceux qui ont été dans ce siècle des combattants de la révolution, il ne critique le présent qu’au nom du passé. Et voilà la caractéristique de la réaction révolutionnaire : elle met perpétuellement en face de l’aujourd’hui, le cadavre momifié de l’autrefois. » [4]

Une confusion de l’esprit ?

Seules les empreintes du temps sauront convenir de cela.

Note

Brochure format pdf ici :


Brochure Pastiche.
https://twitter.com/InfoPastiche

Notes

[2Allia est une maison d’édition aux influences marxiennes, libertaires, dadas, situs ; à la qualité prééminente, à la ligne éditoriale aussi dense que distincte.

[4La réaction révolutionnaire - Bernard Lazare, 1896.

Mots-clefs : brochure | confusionnisme

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