Compte rendu de manif du 15 septembre 2016 d’un-e anti pub

Récit personnel de la manifestation du 15 septembre 2016, en prenant l’angle de l’anti pub.

Je me dirige vers Bastille vers midi, en espérant pouvoir éviter les fouilles en arrivant plut tôt.
Erreur, Bastille est déjà encerclée par un dispositif policier très impressionnant.
Les avenues sont bloquées par des murs mobiles ne laissant pour passer que quelques points bien entendu gardés par des groupes de policiers procédant à la fouille méthodique du sac de chaque personne entrant sur la place de la Bastille. La fouille semble néanmoins partielle comparée au dispositif d’une des dernières manifs anti Loi Travail, seuls les sacs sont fouillés de ce que j’ai vu. Je n’ai pas remarqué de fouille au corps.

Exemple de mur mobile anti émeute.
Marc Ollivier / Ouest-France

Je passe avec mon sac à dos, je l’ouvre sur demande, le policier voit un k-way noir et fait un peu la tronche, dessous il tombe sur une serviette et des chaussons d’escalade. À la vue du matériel de sport son visage change, il me lance « escalade ? », je réponds « ouais ! », et il me laisse passer sans regarder plus en détail le contenu.
Bilan de ce qui est passé : du Sérum physiologique pour les yeux, des clés hexagonales permettant d’ouvrir l’espace publicitaire des abris voyageurs JCDecaux modèle « Marc Aurel » présent sur le parcours de la manif, des clés carrés et triangles pour ouvrir les espaces publicitaires des kiosques , un feutre à peinture à large bord.

Arrivé-e sur la place, une petite déception : peu de monde au final, la place est très clairsemée, ce qui prend le plus de place c’est les voitures/ballons des syndicats.

Je rejoins un groupe qui va tracter chez les policiers, accompagné de 2 policiers manifestants de la CGT-Police. On fait un peu le tour des camions, on sympathise avec certains tout en crachant notre haine sur Valls, Hollande et Cazeneuve.

La manif part, j’ai retrouvé plusieurs ami-e-s de l’anti pub. Tout naturellement nous rejoignons le Cortège de tête.
La manif est découpée en deux avec une bonne séparation au milieu :
Devant : le Cortège de tête, composé d’autonomes, d’anarchistes, de black blocks, d’anti pub et d’autres groupes divers et variés.
Derrière : le Cortège syndical, avec les voitures ballons, les drapeaux et les chansons bon enfant.

Autant je trouvais la place clairsemée au départ de la manif, autant une fois lancée je trouve le cortège assez gros et bien compact. Le cortège de tête est impressionnant, on y est très nombreux.
Certain-e-s disent qu’il fait le tiers du Cortège total.

L’ambiance dans le cortège de tête est très rapidement au rendez-vous.
Les chants anti loi travail, anti capitalistes, anti flics, anti fascistes etc. se succèdent.
Du cortège se dégage une énergie terrible, un sentiment de détermination la plus totale.
Une bonne partie des gens veulent en découdre, au moins avec le monde, voir avec la police directement.
Les émotions s’enchaînent très rapidement : joie, rires, rage. Tout ça est crié avec force et énergie.
Cette manif c’est un peu comme une séance chez le psy : on y sort tout ce qu’on subit au jour le jour et qu’on n’ose pas dire. Tout ce qui nous opprime et qui nous marque dans la rue, au travail, dans les administrations. C’est le moment de faire sortir tout ça, toute cette rage, tout ce refus.
On n’en peut plus et on le dit.
Assez rapidement une grande partie du cortège de tête se change en masse informe et noire : le black block est là.
Très rapidement les affrontements avec la police commencent : jets de pierres, de bouteilles, de fusées d’artifice en crescendo jusqu’aux cocktails Molotov.
La police réplique avec des charges, des coups de matraque, des tirs de grenades lacrymogènes et de dés-encerclement ainsi qu’avec des tirs de flashball.
Tout ça est devenu rituel, presque une danse, chacun joue sa partition comme il doit la jouer.
Je ne lance personnellement rien sur la police, je n’arrive pas à me résoudre à viser un être humain, même si je déteste la police en tant qu’institution, je ne peux ignorer que derrière chaque bouclier et chaque casque se cache un être humain avec toute sa complexité.
Cependant je ne peux m’empêcher de jubiler à chaque fait d’arme de mes camarades du cortège de tête.

Pour notre groupe d’anti pub, l’objectif de la manif est bien souvent d’au minimum retirer la publicité des mobiliers urbains, voir de la remplacer par des publicités détournées ou des affiches militantes uniques faites à la main lors d’ateliers « d’artivisme ».
Cette fois-ci, comme à certaines autres manifs, nous sommes venus résigné-e-s car nous étions au courant de la mise en place d’un dispositif de protection des abris voyageurs : des plaques de bois sont posées pour protéger les vitres des abris voyageurs qui contiennent la pub. Ces plaques de bois sont retenues au mobilier urbain par un cerclage en métal assez épais, difficile à enlever sans outils.

Deux employés JCDecaux en train de protéger un abris voyageur modèle Marc Aurel

Nous étions donc résigné-e-s à seulement taguer les planches en bois de protection à l’aide de feutres à peinture à large bord.
Nous avions quand même plus d’un tour dans notre sac, car si les abris voyageurs étaient protégés, les mats publicitaires et les vitrines JCDecaux ne l’étaient pas. Ces deux types de mobilier s’ouvrent avec une vulgaire clef à pipe de 13 mm facile à cacher dans son sac. Nous avons donc pu nous amuser à retirer la pub de ces mobiliers urbains tout en laissant des messages anti pub.

Vitrine JCDecaux 8m² avec un tag « JCCONNE »
paris-luttes.info
Mat publicitaire JCDecaux 2m² détourné lors de la manifestation du 15 septembre 2016

Mais au bout de quelques mètres … nous remarquons que les abris voyageurs sont la cible de certains black blocks et qu’ils réussissent à enlever (en réalité : arracher et déchiqueter !) les plaques de bois pour ensuite casser les vitres et taguer l’intérieur.

Abris voyageur JCDecaux modèle Marc Aurel dont la vitrine publicitaire a été brisée pendant la manifestation anti Loi Travail du 15 septembre 2016
Abris voyageur JCDecaux modèle Marc Aurel avec vitrine publicitaire brisée et tagué « Ad Black Block » le 15 septembre 2016.
Absi voyageur JCDecaux modèle Marc Aurel avec vitrine brisée et tagué « Mort à la pub » et « Stupeflip Vite ! » le 15 septembre 2016.

Comment font-ils ?!! « C’est génial ! Ils sont vraiment trop fort ! » me dis-je.

Je chope un type recouvert de noir avec un gros masque à gaz et je lui demande : « Mais vous faites comment pour virer les planches de bois ? »
Il me répond le plus simplement du monde : « Bah ... On tire dessus !! »
« o_O ?! »
Est-ce aussi simple ?

Au premier abris voyageur intact (ce qui a pris un peu de temps à trouver), j’essaye, je me mets à tirer dessus aidé d’une deuxième personne.
Malgré nos physiques plutôt secs et peu musclés, nous arrivons en effet en une dizaine de secondes, et avec une facilité déconcertante à déchiqueter le panneau en bois.
Il ne reste ensuite plus qu’à pousser le cerclage de métal du bas pour qu’il tombe, et ensuite nous pouvons nous adonner à notre sport favoris : nous ouvrons le panneau avec la clé hexagonale pour accéder à l’objet tant détesté, la publicité. Celle-ci est enlevée avec rage et passion et le panneau est refermé : mission accomplie. Sous les applaudissement de la foule des manifestant qui comprennent instantanément la portée et la motivation du geste.

Nous arrivons à destination de cette manifestation très courte, les scènes de guérillas urbaines s’enchaînent, on croise au hasard des charges de CRS, des camarades de lutte, qu’on reconnaît des fois même visage cachés. La place est entourée de CRS, chaque salve de jets un peu trop nourri vers la police implique une réplique de gaz bien irritant. Les yeux piquent, les poumons brûlent, mais la solidarité est là, les gens se donnent des conseils et se passent des fioles de sérum physiologique, voire des masques en papier.
La place est le siège d’ultimes affrontements, avant que la place ne se fasse nasser par les CRS qui nous évacuent par l’angle de rue du Château d’Eau.

Localisation : Paris

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