Taisez-vous ou c’est la prison ! Brèves du tribunal

Chaque jour, des dizaines de personnes sont déférées devant le tribunal correctionnel dans le cadre de la procédure de comparution immédiate. Comme se plaît à le dire un magistrat de Bobigny, « 90 % des personnes qui se tiennent dans le box des accusés dorment en prison le soir même ». Assister aux audiences de comparution immédiate qui se déroulent chaque jour est un enseignement riche mais douloureux sur le fonctionnement de la justice d’État.

Assister à une audience en comparution, c’est écouter, observer, attendre, jouer le jeu du assis-debout et puis c’est parfois laisser traîner ses oreilles du côté des flics. On n’est pas toujours déçu !

Alors qu’ils viennent d’escorter un prévenu dans les bas-fonds du tribunal dans l’attente de son délibéré, deux flics profitent de la suspension de la séance pour taper la discute dans le box des accusés. Ils convient aussi celui qui est chargé de surveiller la salle. Leur discussion est effarante. Sujet du jour : les fusils d’assaut. L’un après l’autre, ils vont mimer la position du tireur et décrire avec précision les méthodes à adopter pour charger le plus rapidement son fusil. À cette occasion, l’un d’eux se vante d’avoir pu vendre un gilet pare-balles 900 euros, ce gilet comportait des emplacements spéciaux pour pouvoir ranger des chargeurs de fusils.

Huit mois ferme ? Ne vous en faites pas !

Être pauvre peut coûter très cher. Dans le box, une petite dame. Elle ne parle pas français, une interprète l’assiste. Cette dame est Vietnamienne mais vit en Angola, c’est une opportunité qui s’offrait à elle pour sortir de la misère. La petite échoppe de vêtements qu’elle a essayé de monter se casse vite la figure et elle dégringole l’échelle sociale se retrouvant avec un travail de vendeuse mal payé. En provenance de Luanda, en Angola, elle fait escale à Roissy en direction d’Hanoï au Vietnam.
Son avion a du retard, elle rate sa correspondance et se fait contrôler par les douanes en possession d’une valise qui contient de l’ivoire. On lui saisit également son bagage à main qui contient de l’argent économisé à destination des familles restées au pays.
La juge chargée de lui poser des questions est excédée par le temps que prend la traduction par l’interprète et décide de répondre elle-même aux questions :

Juge – Étiez-vous au courant de l’interdiction de transporter de l’ivoire ?
– (Traduction)
J – Visiblement oui... Qu’est-ce qu’elle sait sur la réglementation ?
– (Traduction) Je sais que l’ivoire est protégé.

La juge se lance dans l’extorsion d’aveux en demandant plusieurs fois si la prévenue est au courant qu’elle transportait de l’ivoire, ce à quoi elle répond ne pas avoir été au courant de ce qu’elle transportait dans la mesure où elle avait été recrutée pour effectuer ce voyage. Elle a préféré ne pas poser de question sur le contenu de la valise et obtenir comme seule rémunération le paiement du voyage vers le Vietnam, occasion pour elle d’aller visiter un parent en fin de vie.

Le procureur commence ses réquisitions et est interrompue aussitôt par la juge :

J – Il va falloir que vous fassiez des pauses...
Proc – Pour...
J – ...pour la traduction !
(Rires de la juge et du procureur)

Les réquisitions du procureur : 3 mois de prison avec sursis, saisie de l’ivoire et pour l’amende douanière (324 000 euros c’est-à-dire la valeur des biens confisqués par les douanes) il laisse au tribunal décider.

Après suspension le verdict tombe : reconnue coupable, elle écope de 8 mois de prison ferme avec mandat de dépôt et obligation de payer l’amende douanière !

Choc dans la salle, immédiatement la petite dame, à qui on s’est empressé de remettre ses bracelets, pose des questions, son interprète traduit :

– Mais pourquoi ? Je vous ai dit que je n’étais pas au courant et que j’ai fait seulement ce voyage pour aller voir ma mère.
J – Madame, les fait sont d’une extrême gravité, vous participez à l’extinction d’une espèce animale gravement menacée. L’ivoire vient du braconnage !
– Mais c’est tout alors ? Je vais en prison ?
J – Oui la peine est prononcée.
– Est-ce que j’aurai un traducteur en prison ?
J – Non. Vous parlez espagnol ?
– Non
J – Ah oui pardon, l’Angola c’est le portugais. Portugais ?
– Quelques mots.
J – Ne vous en faites pas, vous trouverez sans doute des compatriotes capables de vous aider. Et puis 8 mois, avec les remises de peines, si vous vous comportez bien ça va être ramené à 6 mois et demi voire moins. Pour l’amende (324 000 !) un aménagement est possible, ce sera adapté à votre situation. En prison vous allez d’abord être placée dans le quartier arrivants, là-bas il y a un psy, du personnel d’accueil, un médecin. Vous en faites pas !

Ah ben même si les juges nous disent qu’il ne faut pas s’en faire de la prison !

« Irresponsable » mais solvable !

Une histoire comme il en existe trop. On juge sur renvoi du parquet un type bourré qui se fâche avec un membre de sa famille, son père, des coups sont portés, la police débarque et emmène le gus. Placé en garde à vue, ça tourne vinaigre. Au moment de sa fouille les flics en veulent après son cordon de jogging. Quelques instants plus tard après des hurlements, des protestations et un sacré molestage des flics, le type retire son pantalon, se retrouve en slip au cri de « Prenez-le sales chiens ». Mais il ne se laisse pas tant faire sur cette fouille de la police qui se poursuit, il saisit un flic et il y a échange de quelques coups. Un flic est griffé au niveau du menton ; en réplique il allonge le gars par terre. C’est un flot d’insultes de part et d’autre.

J – Parlez-moi de l’agression envers les policiers ?
– Ils m’ont laissé à poil toute la nuit.
J – Vous les avez insultés ?
– Ah oui ! Je les ai insultés.

Une expertise psychologique déclare que le prévenu souffre de gros problèmes d’alcool et de troubles qui abolissent son discernement. Autrement dit, irresponsable pénalement. Mais attention au crime de lèse-majesté, on n’interrompt pas un juge.


– Je vous demande pardon monsieur le juge, mais ça fait 15 ans que ça dure...
J – Laissez-moi parler !
– Je ne fais que ça...
J – Taisez-vous ou c’est la prison !
– C’est l’alcool, c’est tout le temps l’alcool... Ma frangine m’a piqué mon dossier médical. Je préférerais passer aux assises, pour que tout soit expliqué.
J – Maintenant vous vous taisez !
– Pardon...
J – Oui, demandez pardon ! Les limites c’est moi qui les fixe ! D’après l’expert vous nécessitez des soins.
– J’ai vraiment l’intention de me soigner, je ne veux pas retourner au bercail (la prison pour ce Monsieur).

C’est au tour de l’avocat des flics. Il déclare que le prévenu est dangereux, et que même s’il est « déficient mentalement » il a causé du tort aux flics. Pour l’un il réclame 600 euros comme préjudice moral (pour insultes), pour l’autre qui s’est fait chahuter 1000 euros. Et puis on ne s’arrête pas là, il veut se faire rembourser ses frais de déplacement et ses cafés, 500 euros de frais de procédure pour chaque flic, soit 1000 euros. Total 2600 euros.
Ce à quoi l’autre avocat répond qu’il n’est pas « déficient mentalement », il est intelligent, mais malade.

Le procureur requiert l’irresponsabilité pénale, le gars est bipolaire donc malade, il faut l’hospitaliser de force dans une structure psychiatrique.

Le délibéré tombe, reconnu irresponsable, il est enfermé de force à l’asile et les policiers vont pouvoir toucher leur sous. Pour insultes l’un touchera 300 euros, pour une griffure le second touchera 1000 euros et l’avocat se met 500 euros dans les poches.

Comme quoi, même déclaré fou, on te fait passer à la caisse !

Mots-clefs : répression | police | prison

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