Avenue de Flandre : des sapins pour faire oublier les hommes

Entre la place de la Stalingrad et la rue Riquet, l’avenue de Flandre a été investie par la Mairie de Paris : après les grilles, les sapins...

Pour faire suite et compléter l’article Stalingrad : après les migrants, les grilles.

Sur la première portion, du côté de la place de Stalingrad jusqu’à laquelle il s’étend, a surgi le Paris Sports Parc. Il s’agit d’une sorte d’enclos sportif, où sont disposés tables de ping-pong, rampes de skate et divers instruments d’entretien musculaire. Apparu au début de l’année 2016, pour célébrer l’organisation de l’Euro de football, le Paris Sports Parc avait vécu une vie de nomade pendant quelques mois, migrant de quartier en quartier, afin de profiter à tous les Parisiens. Il a, au début du mois de novembre, été opportunément ré-introduit , dans le cadre de la candidature de Paris à l’organisation des Jeux olympiques de 2024, à la place encore chaude des immigrés chassés.

Sur la seconde portion, en allant vers la rue Riquet, a ouvert le 11 novembre « La forêt de Flandre », qui laisse la curieuse impression d’avoir été installée dans la plus grande précipitation. Contre le gris métallique des grilles apparues après la rafle du 4 novembre s’entassent des sapins venus d’ailleurs, informe mur végétal, ornementés de quelques pauvres sculptures en osier figurant les animaux de la forêt. Cinq ou six cabanons vides attendent vendeurs et badauds, deux employés de sécurité s’affairent tranquillement à la surveillance des conifères. Des panneaux invitent les petits et les grands à suivre la « ballade des explorateurs », un parcours ludique, pour apprendre à reconnaître les empreintes des animaux, les chants d’oiseaux et les odeurs des fleurs. Il n’y a pas de fleur. En guise d’oiseaux, quelques corneilles fouillent les poubelles et chassent les pigeons.

Le Food truck annoncé n’y est pas, ni d’ailleurs la scène de concert. On trouve en revanche quelques représentations d’empreintes d’animaux, accompagnées d’informations lapidaires - qu’on retrouve, mot pour mot, sur certains sites internet, tel « Wikimini, l’encyclopédie pour enfants » - sur la faune - écureuil, sanglier... Contre les grilles, moisissent quelques vêtements colorés, les traces des hommes.

Entre le Paris Sports Parc et ce succédané de forêt, deux points communs : l’enclos métallique et la présence de vigiles, moins symbolique, peut-être moins coûteuse aussi, mais tout aussi efficace que celle de policiers. Le but de ces installations est évident. Il s’agit d’empêcher ceux qui auraient échappé aux « mises à l’abri » de revenir, et d’organiser l’oubli joyeux des immigrés rendus invisibles. L’utile succède au honteux. Un des gardes à qui je fais part de cette hypothèse, me répond que c’est mon avis, mais que lui pense que ces installations sont là pour « faire beau ». A voir la gueule de la « forêt », on comprend que le molosse a de l’humour.

La « forêt » installée sur le terre-plein central de l’avenue de Flandre

Reste un point qui m’intrigue : ces cabanons de bois, vides pour le moment, mais qui, à en croire les inscriptions visibles sur leurs façades, sont destinés à accueillir des marchands de vin chaud, de guirlandes, d’objets décoratifs... Au cœur d’une forêt reconstituée, leur présence paraît incongrue. Elle fait penser aux prémices de l’installation d’une foire hivernale.

Bingo. Le Paris Sports Parc et la « forêt de Flandre » seront remplacés, début décembre par un marché de Noël. Sur le site de la Mairie de Paris, on trouve un appel à projets pour l’organiser. Une rapide recherche sur le site archive.org permet de voir que cet appel d’offres n’est pas apparu sur le site de la Mairie avant le 14 novembre. La date limite de dépôt des dossiers est fixée au 28 novembre. Mais les cabanons déjà en place sur l’avenue de Flandre suggèrent que l’organisateur a en fait été choisi avant la date limite officielle, et qu’il est déjà à l’œuvre...D’ailleurs, la Mairie de Paris n’a pas répondu aux questions techniques que je lui ai posées en me faisant passer pour un chef d’entreprise intéressé par l’appel d’offres. Encore une fois, ça sent la précipitation à plein nez.

L’appel à projets express sur le site de la Mairie de Paris

Mais non, je dois être mauvaise langue, car le projet d’organiser un marché de Noël sur l’avenue de Flandre est déjà ancien : il a été proposé en janvier 2016 par Fanny19 sur le site « Budget Participatif » de la Mairie de Paris. J’ai peut-être été un peu trop rapide à soupçonner une nouvelle forfaiture. Pourtant...

Le projet, proposé en janvier, refusé en août, mis en oeuvre en novembre...

Pourtant ce projet, déposé en janvier, a été refusé - pardon, « non retenu » - par les services municipaux en août 2016 :

« Ce projet n’entre pas dans le budget d’investissement. En effet, l’organisation de festivités ponctuelles, comme la mise en place d’un marché de Noël, ne peut être considéré comme un investissement ayant un impact durable pour le patrimoine de la collectivité, comme cela doit être le cas pour que les projets soient recevables. Néanmoins, vous pouvez vous adresser au centre d’animation de votre quartier ou aux maisons des associations de votre arrondissement pour proposer la mise en œuvre de votre projet. »

L’argument même est farce : on a eu de cesse de nous rebattre les oreilles avec les impacts positifs de l’Euro 2016, et voici que les festivités ponctuelles n’ont désormais plus d’impact durable pour la collectivité. Voilà comment un projet anodin, refusé en août, est, trois mois plus tard, soudainement sorti des cartons, dans l’espoir d’éloigner les immigrés et de nous faire oublier le traitement abject que nous leur réservons.

Note

Je n’utilise par le terme « migrants » que je considère comme un piège sémantique. Un « migrant » n’a pas terminé son voyage, il fait étape chez nous avant de repartir. Un « immigré » est arrivé à destination : chez nous, il est désormais chez lui.

Localisation : Paris 19e

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