Aujourd’hui, un policier m’a menacé de mort. “On sait où tu habites. On te surveille.”

Récit d’un contrôle de police ce jeudi 26 mai Porte de Vincennes.

Il y a des journées comme ça qui finissent mal. Nous sommes le jeudi 26 mai 2016, journée de mobilisation générale en France contre la loi travail passée en force avec le 49–3. J’ai reçu quelques coups de matraque mais nous rentrions tranquilement chez nous en métro avec quatre camarades.

Vers 18h45, un policier m’a reconnu dans les couloirs de la station Porte de Vincennes : “Ah c’est toi ! Viens par ici”, en m’attrapant par l’épaule. N’ayant rien à me reprocher selon moi j’ai obtempéré sans la moindre violence ni résistance, le voyant entouré de nombreux collègues qui ont rapidement écarté mes ami-e-s. “C’est toi le mec de l’autre jour à Nation, je t’ai reconnu. C’est toi qui a publié nos photos sur Facebook, d’ailleurs on a fait bloquer ton compte” commence-t-il. [1]

Ce policier, dont le matricule était non visible, continue : “Plus jamais tu ne racontes ce qui s’est passé ou tu publies les photos ! On surveille ce que tu publies sur Facebook. Sinon on a ton adresse, on sait où tu habites, on vient devant chez toi et on te casse la gueule, fais gaffe à ta peau et à ta tête, t’es fragile”. Je reste muet, le regardant dans les yeux. “T’as compris ? Alors réponds ! 
 — Je dois répondre quoi ?
 — Que tu publieras plus rien sur nous enculé !”.
Essayant de garder mon calme, je lui réponds “Vous ne voulez pas qu’on en parle avec un avocat ?
—  J’en ai rien à foutre de ton avocat, on te surveille ! 
—  Pour vous les humiliations homophobes de vos collègues étaient justifiées ? N’ayant pas les matricules que vos collègues avaient cachés, on a dû prendre des photos.” Le voyant agressif, j’ai appelé “Des gens ?! Officier !”.
L’officier arrive alors : “Contrôle d’identité, c’est filmé”, désignant une petite caméra sur son équipement. Je lui réponds calmement : “Fouillez tant que vous voulez, je n’ai rien à me reprocher, rien à cacher ; par contre votre collègue m’a menacé de mort !” Il palpe et fouille mes poches, mon manteau, il est calme, pendant que le premier policier s’éloigne. Après quelques papiers, cartes de transports, etc. il voit une capsule et me demande : “C’est quoi ça ?
 — C’est une cartouche que j’ai prise pour vérifier les références, vos collègues utilisent des armes de guerre interdites par la Convention de Genève sur nous. 
 — Ce n’est pas mon problème, vous ferez ce qu’il faut.
 — Oui, je vais d’ailleurs aller porter plainte contre votre collègue qui m’a menacé, vous ne pouvez pas le laisser partir, je demande à voir son matricule.
 — Oui, oui, on verra, laissez-moi finir avec vous.
 — Ne le laissez pas partir, je veux son matricule qu’il a caché.
 — Prenez mon matricule, dit l’officier.
 — Monsieur, je n’ai aucun problème avec vous, je n’ai pas besoin de porter plainte contre vous, vous avez l’air honnête, calme, respectueux, pas comme lui, qui en plus de défendre ses collègues homophobes m’a menacé de me “casser la gueule
 — Ah bon ? Je ne sais pas de quoi vous parlez.
 — Le 28 avril, à la fin d’une manifestation Place de la Nation, dans le métro ils ont maltraité mon compagnon et nous ont insulté, puis ils ont fait bloquer mon compte Facebook ; et là il vient de menacer de venir chez moi pour me casser la gueule ! Je fais quoi ? 
 — Vous avez l’air de vous y connaître en droit et en conventions, vous savez non ? 
 — Oui, je vais relever son matricule, aller déposer plainte à l’IGS et si elle refuse d’intervenir, prévenir Amnesty et la CEDH. D’ailleurs je vous conseille de les calmer, s’ils me touchent moi ou mon compagnon je ne vous lâcherait pas ! Vous n’avez rien contre moi, rien du tout, est-ce que je peux repartir et voir son matricule ?” L’officier demande à son collègue de présenter son matricule, un peu effacé et difficilement lisible, je le note ainsi que celui de l’officier. Il l me relâche enfin. Je rejoins mes camarades bloqué-e-s plus loin. Nous sommes secoué-e-s. Un officier de police a menacé de venir s’en prendre à moi devant chez moi ; je ne le croyais pas possible, malgré de nombreuses menaces de mort sur Internet, jamais on n’était venu me le dire en face.

Je tiens à préciser que contrairement à ce que certains ont prétendu le 28 avril, je ne publie pas ceci pour “attiser la haine anti-flic”, au contraire. Je floute la photo de cet article (prise le 28 avril à Nation) car une policière présente a expliqué à mes camarades que eux aussi recevaient des menaces contre leur famille quand leur visage était publiés. À mon humble avis, c’est en Justice que nous devons les poursuivre, et pas chez eux, pour ne pas nous abaisser à leur niveau. Plusieurs connaissances dans la police ou la gendarmerie mobile m’ont même dit : “Il y a des cons partout, et c’est à cause de ces mecs violents et stupides que tout le monde a une mauvaise image de la police, va à l’IGS”. Visiblement mon nom et ma photo circulent sous le manteau de certaines forces de l’ordre qui se croient au-dessus des lois grâce à l’état d’urgence et se protègent entre elles, puisque l’individu qui m’a attrapé aujourd’hui n’était pas, dans mon souvenir, présent le 28 avril et pourtant il m’a reconnu, et il a affirmé “on surveille ce que tu publies sur Facebook”.

La force publique est au service des citoyen-ne-s et doit les protéger des abus de pouvoir, pas protéger les “Institutions” et appliquer aveuglément des ordres, notamment quand il s’agit de matraquer des jeunes étudiant-e-s ou des vieilles personnes, les bras en l’air ou assis-e-s par terre pacifiquement, ou quand il s’agit de déloger par la force des ouvrier-e-s qui appliquent le droit de grève et qui ont gagné les congés payés, la Sécurité sociale, la médecine du travail, les retraites, le droit syndical, dont tout le monde profite aujourd’hui, vous et eux y compris.

Je publie ceci car on voit se multiplier les interdictions de manifester, les violences policières, y compris commises sur des journalistes ou photographes indépendants pour les empêcher de filmer certains évènements. Je publie ceci car ainsi vous saurez pourquoi mes comptes sur les réseaux sociaux pourraient être bloqués une prochaine fois, ou pourquoi j’ai un jour le visage tuméifié ou que je ne réponds plus. Je publie ceci car je vous demande d’être prudent-e-s, ne soyez jamais seul-e-s en manif, ne rentrez pas seul-e-s chez vous, surtout si la police vous a dans le collimateur.
L’État, l’oligarchie et leurs forces ont peur, ils s’agitent et sont prêts à tout.

Merci pour vos soutiens. Conservez les témoignages de vos camarades ou celui-ci, comme ça chaque fois qu’ils suppriment une publication ou un compte, on peut continuer à diffuser. Épaulons-nous dans les manifs et ailleurs.

Nous devons rester debout, contre la loi travail et son monde, contre les violences policières, pour un monde meilleur, pour un Code du travail du XXIe siècle qui protège et n’aliène pas, pour une vraie Démocratie, pour l’avenir de nos enfants.

DEBOUT !

Note

Texte intialement publié ici

Notes

[1Il fait référence à un événement arrivé le jeudi 28 avril où lors d’un contrôle similaire dans un couloir de métro, ils m’ont vu avec mon compagnon nous tenir la main et nous ont retenus sans aucune raison, renversant nos affaires par terre, humiliant mon compagnon à genoux et, en désignant une capote trouvée dans une poche et une capsule de lacrymo ramassée pour relever sa référence, ont lâché “C’est pour vous la mettre dans le cul ? Vous allez jouer avec ?” ce qui semblait bien les faire rire. J’avais le soir même publié mon témoignage et des photos de l’incident, publication partagée plusieurs milliers de fois et recensant des milliers de soutiens et de réactions sur Facebook ; publication censurée le lendemain, je republie, soutenu par quelques dizaines de camarades et d’internautes relayant l’info, puis mon compte a été bloqué par Facebook 48h plus tard.

Localisation : Paris 20e

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