Action pirate contre l’expo Pinault à la Conciergerie

Suite à la constatation de multiples erreurs dans l’exposition A triple tour, organisée à la Conciergerie par Pinault sur la thématique de l’enfermement, nous, collectif « A triple détour », avons dû procéder à la correction de plusieurs documents au sein de l’exposition :

  • Nouveau dépliant de l’exposition (dans le doc ci-dessous)
  • Critique officielle (argumentaire ci-après)
  • Nouveaux cartels (dans le doc ci-dessous)
  • Discours de dessous de table (dans le doc ci-dessous)

A triple détour

Pourquoi la critique d’art croit-elle donc si éhontément et complaisamment son objet préservé de son contexte politique et économique ?
Ce n’est pas rabaisser ni corrompre l’art que d’en restituer les enjeux économiques et politiques, mais bien plutôt remettre à sa place une stratégie spéculative et cynique, qui n’a en fait rien à voir avec l’art mais qui en renverse la logique.

Ce n’est pas parce qu’il y a de fait un marché de l’art, dont tout le petit monde de l’art peut bien cerner ses intérêts, qu’on doit accepter les plus faciles démonstrations de cette mascarade.

Une partie de la collection Pinault est accueillie par le Centre des Monuments Nationaux à la Conciergerie entre le 21 octobre 2013 et le 6 janvier 2014, grâce entre autre à Philippe Belaval, président du CMN, à Jean-Jacques Aillagon, ancien ministre de la « culture » (2002-2004) devenu depuis conseiller de François Pinault, et au financement de environ 500 000€ d’argent public (qui ne représentent qu’une partie du coût total de l’exposition).

La Conciergerie dont l’histoire fait bien entendu « naturellement » le pont avec le thème proposé : l’exposition présente en effet les œuvres d’artistes contemporains tournant autour de la question de l’enfermement. Celui-ci est bien proprement présenté comme une idée, déclinée d’un point de vue politique, à l’échelle mondiale dans la première partie de l’exposition, et d’un point de vue psychologique, à l’échelle individuelle, dans la seconde partie.

Certaines œuvres sont intéressantes, formellement et conceptuellement, d’autres sont d’un superflu ou d’une platitude qu’il n’est pas ici le propos de commenter.

L’objet de ce texte n’est pas esthétique mais économique et politique.

Nous avons donc :

  • d’un côté un collectionneur d’art, directeur de la maison de vente aux enchères Christie’s, financier impérialiste, actionnaire de Bouygues et de Vinci, entre autres, 3e fortune de France, exilé fiscal, chef de la holding Artemis, papa du non moins fameux François-Henri Pinault, à qui il lègue le groupe Pinault-Printemps-Redoute nouvellement rebaptisé Kering pour mieux coller à l’industrie du luxe que la famille zieute et qui pour cela supprime plus de 9400 emplois en France en 10 ans pour gagner 5,1 milliards d’euros sur une fortune personnelle dépassant déjà les plusieurs milliards...
  • d’un autre côté, un marché de l’art avide de spéculation, qui développe les foires d’art contemporain débilitantes et aseptisées comme la FIAC. Celles-ci ont pour objectif de faire gonfler les investissements des soi-disant mécènes, et leur permettent ainsi de soigner leur fortune en faisant grimper la côte de leurs poulains et en leur faisant bénéficier de déductions fiscales quand les capitaux qui n’ont pas encore été placés dans d’autres lieux sûrs, dans ces lieux qu’on appelle des « paradis » pour mieux nous faire rêver de ce monde pollué par le fric à tout prix.
  • d’un autre côté des politiciens qui gaspillent de l’argent public pour flatter les grands investisseurs, qui prennent l’action politique pour un placement népotiste et financier, pour conserver leur semblant de pouvoir et leurs privilèges de classe, qui surfent sur une vague de paillettes culturelles pour faire passer la pilule sociale ainsi que les projets démesurés et mégalomanes d’aménagement du territoire, pour asseoir leur incompétence et hausser le règne des intérêts personnels au statut de norme désirable et naturelle tout en continuant à se revendiquer de l’intérêt général.
  • d’un autre côté encore, un haut lieu du pouvoir judiciaire qui a vu défiler les détenu.es et condamné.es du royaume, de la révolution, de l’empire, de la République. Un lieu qui représente le pouvoir de juger, de donner le droit de vie et de mort, d’enfermer, selon la loi, la sacro-sainte loi, qui rejoue toujours le jeu de la norme sociale en vigueur, celle qui tend à enfermer les corps, à contraindre les âmes et à inculquer la morale. Un lieu qui sert de vitrine historique alors qu’à deux pas, aujourd’hui encore, on enferme, sous la salle de l’exposition, des femmes dans un centre de rétention administrative, alors qu’à deux pas on décide d’enfermer au dépôt et au palais de justice, alors qu’à deux pas, on organise, on gère, on rationalise l’enfermement à la préfecture, où la police veille au bon ordre des choses, à ce que la guerre sociale ne fasse pas trop de bruit, ne soit pas trop visible, et à ce que la violence légitime reste un monopole d’État.
  • il y a aussi, les conséquences fâcheuses du système Pinault. Pour ne citer que quelques exemples récents : les licenciés de la Redoute ou de la FNAC, sacrifiés sur l’autel de l’industrie du luxe ; le groupe de militant.es contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (projet Vinci, dont Pinault est actionnaire), militant.es poursuivis pour avoir pique-niqué dans leur jardin et pour avoir proféré des slogans qui n’ont pas plu à ces grands amateurs d’art, à ces hauts fonctionnaires du cynisme juridico-moral, à ces grands défenseurs de l’image mais pourfendeurs de caricatures quand elle touche à leur binette, à ces spécialistes de la renommée spectaculaire, à ces soldats du flouze.

L’encensement public de cette exposition correspond bien à la situation actuelle d’un impérialisme néo-libéral cynique, d’un dispositif de pouvoir de la finance qui veut donner des leçons d’humanisme et des démonstrations de pseudo-sens critique, qui se fout bien de la gueule de tout le monde, du public, des travailleurs, des marginaux, de toutes les personnes qui ne sont pas de potentiels alliés ou concurrents...

Cette exposition est la démonstration du mépris de Pinault pour les luttes sociales et politiques, de son mépris de l’art, de son mépris de toutes celles et ceux qui sont en prison, ou qui subissent les sévices des systèmes médico-judiciaires.

Exhibition en miroir inversé de l’impunité obscène des sphères financières et politiques et de leurs collusions d’intérêts, à peine déguisées derrière une parodie de culture, une histoire singée et reléguée à l’anecdote.

Un cadeau fait à Pinault par Pinault, et par ses amis bien placés, où il contemple narcissiquement l’allégorie de sa propre vie et des conséquences de son entreprise. Fascination morbide pour les « dommages collatéraux » d’un système qui le porte aux nues et qu’il entretient lui-même, en brandissant une position d’amateur d’art pour mieux étendre son empire tout en soignant son image.

Système en vases clos : Pinault dore son blason en surfant sur le marché de l’art, qui lui même surfe sur des investisseurs comme F. Pinault ou B. Arnault (LVMH). Tout le monde s’arrange dans ce petit monde confiné où on nous fait croire que toute résistance, même artistique, est inutile.

Mais un système n’existe que s’il peut être saboté.

Tout est dans l’image. Alors les Pinault essayent de bien la soigner : leur collection d’images qui vaut très très cher aux yeux des financiers et des spéculateurs, leur image de marque qui assoit leur position dans les cercles mondains, et leur image qui doit être entretenue auprès des anonymes, potentiels consommateurs et clients, qu’il faut prévenir de toute velléité de contestation ou de critique. Maintenir le fétichisme, prévenir l’iconoclasme : subtile manœuvre que cette exposition.

Dans cette Conciergerie, on entend un Pinault qui résonne comme une certaine Marie-Antoinette de légende : « Quoi, le peuple demande de la justice ? Donnez leur de l’enfermement ! »

Nous refusons de nous soumettre à l’ordre de l’argent et du spectacle, nous crachons sur le cynisme des mégalomanes narcissiques et pathétiques, nous continuerons à lutter contre l’enfermement, la résignation et la misère sociale, contre la colonisation de nos vies et de nos corps.

Note

Remerciements :

Nous tenons à remercier chaleureusement et comme il se doit M. François Pinault, sans qui rien n’aurait été possible.
Oui, M. Pinault, ainsi que votre fils François-Henri, et les gens de votre cran, nous vous remercions de mettre enfin à l’honneur le thème de l’enfermement dans le cadre d’une exposition d’art contemporain, où toutes vos entreprises sont enfin mises en perspective à leur juste valeur.
Merci pour toutes les prisons dont vous financez la construction.
Merci pour les femmes enfermées juste sous nos pieds, en dessous de la Conciergerie, et qui apprécient sans nul doute qu’un tel hommage leur soit rendu, et artistiquement de surcroît.
Merci de faire de l’art contemporain une sphère spéculative où la valeur financière de l’art prévaut sur l’intensité de son sens.
Merci d’enchaîner les artistes à une logique du marché.
Merci de profiter de la Fiac, ce grand événement cultuel entre tous, pour nous délivrer une manne
spirituelle en apparence, tout en tournant l’affaire dans votre intérêt.
Merci pour tout l’argent public du CMN qui est pour sûr utilisé à bon escient.
Merci d’avoir de si bons amis politiciens, qui savent vous aider à redorer votre image.
Merci pour les licenciements de la Redoute.
Merci pour l’essor de l’industrie du luxe, dont la planète a bien besoin.
Merci de poursuivre en justice des militants contre l’aéroport de Nddl, avec acharnement et persévérance, pour l’amélioration de notre intérêt général, et dans la perspective d’affaiblir les luttes politiques. On doit replacer le mépris où il se doit.
Merci d’être si magnanime et plein de sollicitude, alors que personne ne vous avait rien demandé.
Merci de marcher main dans la main avec les plus grands projets de destructions écologiques et sociales du monde.
Merci de dévoiler votre grandeur philosophique et votre goût par cette exposition.
Merci de votre cynisme et de votre ambition écrasante.
Merci d’être ce que vous êtes.
Merci de faire ce que vous faites.
Nous n’oublierons pas.
Personne n’oubliera.
L’histoire s’en souviendra.
Merci, encore une fois, M. Pinault.

Localisation : Paris 1er

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