A quoi jouent les forces de l’ordre depuis le début du mouvement ?

On s’est tous posé la question mais on n’a pas réellement de réponse. Que font les flics avec le maintien de l’ordre ? Si certaines techniques persistent, les flics semblent avoir abandonné quelques points importants, du moins à Paris.

Le maintien de l’ordre opère principalement sur deux éléments notables : la doctrine du « zéro mort » et « la sécurité du fonctionnaire ». Si ces points ne sont pas complètement abandonnés, ils sont en tout cas sacrément mis de côté sur le mouvement en cours :

La sécurité du fonctionnaire : un ancien temps

La sécurité des fonctionnaires était la principale doctrine jusqu’ici et ce depuis les années 1950. Des flics morts en manif y en a pas beaucoup (un commissaire de police à Lyon en 1968, ce doit bien être le seul de la Ve République). Certains ont été gravement blessés, c’est déjà arrivé en Nouvelle-Calédonie (ou les doctrines de maintien de l’ordre sont plus violentes du fait du rapport colonial existant) mais aussi à de brefs instants comme à Creys Malville en 1977 ou durant l’émeute de pêcheurs de 1994 à Rennes. Ces pics de violences étaient dû à la radicalité du conflit mais aussi à une envie politique de faire plier les personnes en lutte.

Néanmoins, dès début mars, les forces de l’ordre ont eu une politique particulièrement offensive envers les manifestants, même pacifiques. Au risque de voir leurs propre troupes avoir des petits problèmes.
Le premier risque c’est de lancer des affrontements là où les flics ne sont pas sûrs d’en gagner. On a vu durant ce mouvement, des flics être offensifs et déclencher des bagarres alors qu’ils étaient dos à un mur et sans issue de secours. Ce fut le cas durant la manif lycéenne du 31 mars. On y voyait des CRS pas du tout à l’aise, qui semblaient avoir ordre d’agir comme cela, charger au milieu du cortège pour couper la manif en deux. Évidemment cette technique n’est pas sans risque, les projectiles leurs tombent sur la gueule des deux côtés et ils ne sont franchement pas en position de force.
Deuxième élément assez perturbant pour eux mais aussi pour nous : la distance mise avec la manif. Celle-ci est désormais minime. Au soir du 28 avril, on a vu des syndicats policiers pleurnicher après qu’un de leurs collègues en civil ait eu le crâne explosé par un paveton aux environs de la gare d’Austerlitz. Bah ouais sauf qu’à force de se mettre à 5 mètres des manifestants, y a rien d’étonnant à ce qu’un flic prenne un mauvais coup. Bien fait même. D’autant plus que de notre côté on s’est de plus en plus organisé en conséquence… De manière générale les flics en France avaient tendance à fonctionner à distance lorsque les affrontements étaient les plus durs. Ils maîtrisaient les manifestants considérés comme les plus déterminés à l’aide de grenades lacrymogènes jusqu’à ce que la masse de manifestants soit plus disparate ou plus fatiguée. A ce moment précis, arrivait l’heure de « la nasse ». Les nasses policières n’étaient jusqu’alors pas utilisées aux moments des actes de violences mais plutôt après, lorsqu’il fallait trier « bons » et « mauvais » manifestants. Mais ça c’est fini.
Ils sont en permanence autour de la manifestation, au contact. Prêt à nasser au moindre souci. Et force est de constater qu’ils prennent plus de coups qu’à l’accoutumée. Exemple : le premier mai sur le boulevard Diderot, les Gendarmes Mobiles et les CRS ont formé une ligne autour du cortège en coupant en deux la manif. Ils se sont retrouvés comme des cons, une ligne isolée au milieu de la foule : une position inenvisageable il y a quelques années. D’ailleurs, ils étaient assez peu à l’aise et leur stratégie a du être abandonnée. Ils ont fini contre un mur à prendre des projectiles et des feux d’artifice et à devoir se replier pas très fiers. Minables.
En fait, la stratégie des flics en France est calquée sur la gestion des foules en Allemagne et notamment des fameux « black bloc ». Dans les années 1990, les robocops allemands ont travaillé sur le contact et le corps à corps pour gérer les manifestations d’autonomes. Sauf que le mouvement autonome en France et en Allemagne n’a pas la même histoire et qu’en France, son développement reste assez lié au mouvement syndical lutte des classes, inexistant en Allemagne. Donc les techniques qui marchent en Allemagne pour 3000 cagoulés marchent un peu moins bien à Paris pour 500 cagoulés escortés par une foule de 10 000 personnes.

Des provocations constantes, des comportement paradoxaux

Sur les cortèges traditionnels, type syndicaux, les flics n’apparaissaient qu’à la toute fin de la manif. La surveillance policière était menée par des discrets indicateurs en civil dans la manif. Si à une occasion ou une autre, une vitrine de banque se faisait briser, les flics restaient patiemment en se disant qu’il valait mieux attendre pour ne pas faire dégénérer la manif.
Depuis début mars, les flics sont en nasse permanente et interviennent sur tout et n’importe quoi.
L’un des exemples les plus criants fut « l’attaque » de la place de la Répu par les CRS pour empêcher la distribution… d’un mafé collectif. Cernés par les gens qui gueulaient, les flics sont repartis la queue entre les jambes. Étrange comportement. Ils semblent vouloir faire tout dégénérer mais au dernier moment, semblent se raviser. Ils ne savent pas ce qu’ils veulent.

La stratégie des flics semble vraiment des plus hasardeuse. Cette obsession de vouloir créer un affrontement en multipliant les stationnements, les pauses dans le cortège, la présence sur le côté super provocatrice, contraste avec le fait qu’ils semblent à de nombreuse occasions complètement dépassés.
Et surtout, plus important, les flics ne font plus de distinguo entre « casseurs » et « manifestants normaux » (pour reprendre le langage policier et médiatique). Ils bloquent tout le monde, ils provoquent au grand jour. Résultat, ils sont devenus soudainement assez impopulaires au sein même de syndicats pourtant peu enclin à l’anarchisme tels que la CGT
Lors du 31 mars par exemple, quelques individus lancent des projectiles sur une ligne de CRS un peu trop visible à proximité du quai de la Rapée durant la grande manif syndicale. Les flics rentrent immédiatement dans le cortège et lancent une grenade de désencerclement… sur la CGT Goodyear. Résultat des courses : les Goodyear ont fini la bagarre avec nous. Merci la police de contribuer ainsi à la convergence des luttes !

Risquer un mort ? Pourquoi pas ?

Au-delà de leurs tâtonnements, une chose est sûre : les flics ont un permis assez illimité en terme de violence. Avec le type d’intervention qui est mené, le risque de personnes mutilées, blessées gravement, voire de mort, est très très élevé. L’utilisation des grenades de désencerclement de manière massive par exemple est assez révélatrice du durcissement du maintien de l’ordre. Quand ils en envoient par rafale de dix, les flics savent ce qu’ils font. Quand ils le font à chaque manif, c’est qu’ils ont des ordres. Envoyer un projectile qui explose et qui libère des boules de gomme capable de percer un œil, de broyer des couilles, d’arracher un pied voir de tuer si la grenade explose près de la tête, c’est un risque que les flics prennent. Ils le savent et ils l’utilisent abondamment. Et si ils l’utilisent abondamment c’est qu’ils ont reçu les consignes « Vous inquiétez pas on vous couvre » de la part du ministère de l’Intérieur.
Les journalistes ont beau nous bassiner avec « le spectre de Malek Oussekine » qui traumatiserait une génération entière de ministres de l’Intérieur, il semble bien que ce spectre s’éloigne progressivement et que la classe politique soit prête à assumer un mort. Symboliquement, le retour des voltigeurs joue un rôle psychologique important. La mort de Rémi Fraisse avait d’ailleurs joué un rôle de test. La réponse du mouvement social n’avait pas été à la hauteur, les manifestations étaient clairsemées, l’État avait compris le message : il pouvait taper fort et sans frein.

Parmi toutes les incohérences qu’on a pu noter dans la stratégie de maintien de l’ordre depuis deux mois, il émerge une certaine cohérence : les flics sont préparés à mutiler, préparés à tuer. Sortez couverts !

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