A propos de cause animale et de modération

Un court texte qui traite de hiérarchisation des luttes au travers de celle pour l’abolition de l’exploitation animale.

Le militantisme de gauche dite radicale a pour revendication et pour but l’émancipation de toute individue ainsi que l’abolition de toute forme d’oppression. Lorsqu’on critique les rapports sociaux et la société, on a logiquement tendance à pratiquer une remise en question, une critique permanente de nos mécanismes de pensées et de nos comportements. Pourtant, des personnes se proclamant de cette filiation politique justifient et légitiment le maintien de certaines oppressions, souvent par confort. L’oppression la plus tolérée parmi ces militantes est la domination humaine sur les animaux autres que humaines. Toutefois, on trouve dans ces milieux une proportion élevée de personnes qui souhaitent faire des choix éthiques pour les animaux, qui se sentent concernées par des problématiques liées de près ou de loin à leur utilisation et leur destruction. Pourtant, malgré l’omniprésence de la lutte, celles qui se positionnent radicalement pour les animaux non humaines au travers d’une approche abolitionniste restent une minorité dans la minorité et le clivage entre partisanes de la libération animale VS les autres se maintient.

Pourquoi faudrait-il adopter un discours séduisant et consensuel pour convaincre de l’importance de cette lutte ?

Le simple fait de savoir que les animaux non humaines sont sensibles et conscientes*, sont exploitées, et que leur utilisation n’est pas nécessaire à notre survie devrait suffire à ce que la plupart d’entre nous cessions de défendre leur asservissement. Alors pour quelle raison continuer sinon pour entretenir de bonnes vieilles traditions et maintenir des privilèges de dominantes ?

Si une camarade dénonce des comportements problématiques et oppressifs, il est important de prendre en compte cette critique et de ne pas prôner, en bonne réactionnaire, que l’on ne se sent pas concernée, qu’elle cherche à amoindrir la liberté de l’oppresseure en dénonçant ce qu’elle engendre de nuisible pour autrui. C’est malheureusement ce qu’il se passe lorsqu’on entre dans un débat sur la cause animale. Les arguments pour la prise en considération et contre l’exploitation des individues autres que humaines sont détournés, minimisés, décrédibilisés et niés.

Beaucoup réagissent comme s’il s’agissait d’une question de choix personnel ou de liberté individuelle alors que c’est une oppression systémique que la lutte pour la libération animale s’attache à dénoncer.
Il est primordial de cesser de confondre liberté et privilèges.

C’est d’ailleurs en ça que réside tout l’intérêt du véganisme - ou le minimum éthique que l’on puisse faire pour les animaux non humaines. Cela permet de mettre en évidence l’injustice que constitue la coercition des animaux et de la rendre visible, c’est la mise en œuvre de moyens pour la refuser en pratique. Il ne s’agit pas de purisme, encore moins de confort personnel, mais d’un positionnement radical et cohérent pour la libération totale.

Pour ce qui est du végétarisme, il faut préciser que ce régime alimentaire ne change concrètement rien à la situation des animaux nh, la différence est seulement psychologique pour la dite végétarienne. En ne mangeant plus leur chair on nourrit l’illusion qu’on s’oppose à leur mise à mort, qu’on fait quelque chose de suffisant pour elles, en maintenant l’idée que c’est un aboutissement satisfaisant. Or se contenter de cesser de consommer tel ou tel produit issu de l’exploitation des animaux nh ne remet aucunement en cause l’idéologie de la suprématie humaine et les injustices qu’elle engendre sur les autres êtres sentients [1]. D’ailleurs, même lorsque l’on cesse de financer ces produits, par exemple avec la récupération d’invendus ou en acceptant des dons, s’en nourrir contribue toujours à renforcer cette idéologie dominante qui normalise ces comportements.

Les positionnements et revendications faisant dans la modération ne provoquent que des mesures réformistes. Le principe de réforme est pacificateur, il amène une partie des militantes à se contenter de cette réforme et pousse au désinvestissement d’une cause ; la réforme est fondamentalement anti-révolutionnaire.
Par exemple, les récents scandales sur les conditions d’abattage font que les discours visant à vendre la chair et autres sécrétions animales deviennent graduellement welfaristes (bien-être), c’est à dire qu’ils vantent l’amélioration des conditions d’exploitation pour des produits de meilleure qualité ! ce qui est parfait comme outil de propagande pour le maintien du système en place.

Peu importe l’apparente bienveillance avec laquelle on décide de traiter des individues objectifiées. Leur assignation à la catégorie d’aliment, divertissement, loisir, nuisible, rival, trophée, prothèse affective, matériel de laboratoire etc. est problématique en soi : les animaux nh sont définies comme étant notre légitime propriété, des ressources et marchandises à notre entière disposition.
Quelque soient les justifications conservatistes exposées, il n’existe pas de façon respectueuse ou modérée de s’approprier le corps et la vie d’autrui.

Enfin, c’est important de bien garder à l’esprit que les mécanismes de toutes les oppressions sont les mêmes ; il y a un groupe dominant/exploiteur et un groupe dominé/exploité, le premier tire des privilèges de l’appropriation, l’utilisation et la discrimination de l’autre et pour justifier et défendre le tout, le groupe dominant va argumenter selon des principes arbitraires et naturalisants (exemple : c’est leur nature d’être inférieures et de nous servir), essentialisants. Pourquoi ainsi hiérarchiser les luttes et maintenir des comportements oppressifs au nom du confort, des habitudes, de la tradition ou de l’ordre des choses ?

Les privilèges auxquels nous sommes amenées à renoncer en se positionnant pour les animaux nh sont juste insignifiants comparé à ce qu’elles subissent. Lorsqu’on fait passer les intérêts des opprimées et des victimes avant les siens ou avant ceux des oppresseures, ça devient de suite moins compliqué de faire en sorte modifier son comportement et ses mécanismes de pensées oppressifs, et ce sans attendre « le bon moment » pour changer.

Cessons de tolérer l’intolérable, soyons radicalement cohérentes.

Notes

[1Aussi appelé sentience, ce qui désigne la capacité à éprouver les choses subjectivement et à ressentir des affects positifs ou négatifs. Une individue sentiente a, tout comme les animaux humaines, une individualité, une personnalité propre lui conférant des besoins, des désirs, à commencer par celui de vivre pour elle-même.
Voir la déclaration de Cambridge sur la conscience, et pourquoi pas faire ses propres recherches sur la question.

Mots-clefs : antispécisme