À distance

Protestation devant les astres et ceux qui les regardent pour s’opposer au cadavre qu’on essaye de nous enfoncer dans la bouche. Texte à chaud, subjectif, sur le parfum de France qui est en train de s’installer et comment il nous pique les nasaux.

Mercredi 7 janvier 2014, des journalistes de Charlie Hebdo sont tués par des gros tarés.
C’est malheureux pour les tués, terribles pour leurs familles, pour leurs proches.
Pas question de revenir dessus. Pas question de revenir non plus sur le cas Charlie Hebdo. On le dit assez dans les milieux fréquentables, Charlie, ça pue. Le journal de Fourest et de Val est un journal de porcs.

Mais Charlie Hebdo et ces morts désolantes, ça n’est pas la question. On voudrait revenir plutôt sur le mythe de l’unité nationale qui nous est servi à toutes les sauces depuis mercredi. Toute cette sauce nationaliste, cette merde républicaine. Depuis mercredi, nous sommes tous français apparemment. Tous sommés d’être français. Tous sommés de se réunir sous la putain de bannière tricolore et de verser une larme comme les gros bâtards de handballeurs français l’on fait avant leur match à la con.
Alors ouais, on déplore que des types se soient fait tués comme des chiens par des cinglés. Mais on ne nous fera pas avaler cette merde.
On ne nous verra pas dimanche aller défiler derrière Hollande, Mélenchon et Le Pen. On n’ira pas tenir la main à l’Europe qui vient, celle de Merkel et de Valls, de la Troïka et de Frontex. On n’ira pas défiler derrière ceux qui ont essayé de nous faire croire il y a deux mois à peine que Rémi Fraisse était mort par sa faute. On n’ira pas faire le mariole dans un défilé républicain comme il en fleurit depuis mercredi. On n’ira pas mettre notre pierre à l’édifice de déconscientisation totale, au degré zéro de la réflexion. Parce que c’est ça qui se joue. Une belle unité de façade. Des français qui se tiennent la main. Comme à la fin d’une coupe du monde. C’est du même ordre. Un super écran de fumée. Un beau spectacle. Soyez français. Aujourd’hui vous êtes français. Et rien de plus en somme que cet impératif dégueulasse dans ces rassemblements.
Il n’y a plus de choix depuis mercredi, on est Charlie. On est français. Début et fin de la flèche.

On écrit sous le coup de la colère. Parce que le temps a à peine été pris de couvrir les corps des morts que déjà s’organisait le matraquage. Fuck le deuil apparemment. On n’est pas dupes des vampires qui se servent déjà de cet effroyable évènement pour nous enfoncer toujours plus dans la nuit sécuritaire. Alerte attentat du plan Vigipirate. Des flics partout avec des flingues à la ceinture, des keufs partout, partout, avec leurs yeux de porcs et la haine au front. Tout ça pour nous protéger. Sans dire par contre qu’en 2014, Vigipirate s’est transformé. Passant de quatre niveaux d’alertes à un seul, le niveau normal et l’alerte attentat.
Voilà l’état d’exception. C’est du fascisme qui s’installe. C’est pas autre chose.

*****

Maintenant la télé gueule son message d’amour au peuple français à des gens qui se réveillent français parce que le premier réflexe qu’ils ont le matin en se levant c’est d’allumer BFM TV. Les journaux qui sont en crise s’en sortent bien avec leur une putassière. Le 11 septembre français. Nous sommes Charlie. Le message est simple. Il faut le faire rentrer dans la tête. Il faut le faire rentrer sous la peau. Le tatouer sur ton cerveau. Tu es Charlie gamin. Tu vas faire une minute de silence d’office et on s’en fout que tu comprennes pas pourquoi tu dois fermer ta gueule. Et les réseaux sociaux bruissent de leur silence numérique pour nous faire vivre minute par minute la traque des tueurs. Tous réunis, français devant leurs écrans.

Et puis voilà les artistes qui s’y mettent. La voix de la France. De cette France qui s’imagine toujours terre des droits de l’homme et terre de la liberté d’expression. Celle des porcs qui vomissent leur haine à l’heure de grande écoute. Cette France de merde qui se ripoline tout à coup. La France des grands combats humanistes. Celle qui n’a pas renoncée à faire croire, alors que sa police assassine et qu’on crève toujours dans ses prisons surpeuplées, qu’elle se soucie de ses enfants, qui n’existent pas.

A Nice, nous dit-on dans un JT, il y a eu 27 000 personnes dans la rue samedi 10. Autant de monde dans les rues, ça n’était pas arrivé depuis la Libération. Depuis, le jour où la France s’est levée contre l’ennemi suprême. La France qui du jour au lendemain oubliait ses fascistes, ses flics assassins, qui oubliaient ses déportés en claquant des doigts, comme elle oublie ses fascistes d’aujourd’hui, qu’elle lui ouvre les bras dans un geste d’ultime réconciliation qui va de la droite à l’extrême droite, qui va de la gauche à l’extrême gauche. La France qui se reconnait toute entière dans le visage d’une jeune fille et de son père qui pleurent comme des zombies un drame qu’ils n’ont pas compris.

Prenez garde, français, à ne pas vous levez un matin surpris de découvrir qu’on vous l’a joué à l’envers. Qu’on s’est bien amusé avec votre trouille, la même trouille qu’on vous a tatoué tout au fond du crâne à grand coups de logorrhées nazillonnes. Prenez garde, vous finirez bientôt, à force de tout avaler et même ce que vous devriez avalez de travers par vous réveillez avec un flic à côté de vous. Vous aller finir par vous réveiller un matin et le premier geste que vous aurez à faire, avant le café, avant la clope, avant de pisser à côté de travers, ce sera de saluer le drapeau. Faites gaffe, vos mômes pourraient bientôt prendre du ferme pour avoir écorché les paroles de la marseillaise dans la cour de l’école.
Prenez garde français, à ne pas le rester trop longtemps.
La France colle à la tête et à la peau comme la merde colle au cul.
On nous y prendra pas.

Pauvre petit,
demain

LA MARE, LE MUR, LA MORT !
Henri Michaux

des gens, sans doute.

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