Discussion avec François Cusset sur une histoire critique des années 90

Rencontre/discussion avec François Cusset autour de
« Une histoire (critique) des années 1990 - De la fin de tout au début de quelque chose ». Le 18 juin à 19h30 au café-librairie Michèle Firk.

« la Yougoslave implosait. Les Zapatistes prenaient les armes au Chiapas. Au Rwanda on exterminait en masse. Partout les bulles spéculatives enflaient. Le bug de l’an 2000 faisait frémir. La techno et l’ecstasy multipliaient les nuits blanches. Nirvana rallumait la flamme du punk rock. La France soudain était reine du football. De grandes grèves réveillaient le mouvement social, et les idéologues qui croyaient avoir vaincu le communisme commençaient à déchanter, pendant qu’Internet balbutiait et qu’un président américain jouait son poste sur une gâterie. Autre temps, si récent pourtant, que ce temps où prit naissance notre présent ».

Temps pas très loin et beaucoup d’événements, mais temps pas toujours facile à saisir, du fait de sa pluralité. « Une histoire (critique) des années 1990 » s’essaye à en dire quelque chose, à en faire sortir une histoire, qui reste plurielle voire éclatée, pour y repenser et surtout pour en sortir.

Les textes rassemblés par François Cusset (à la suite d’une exposition au centre Pompidou de Metz sur la décennie « 1984-1999 ») explorent les années 90 comme une transition entre la fin de quelque chose et ce qui doit commencer, prise entre la Grande guerre de 14 et la chute de l’URSS. Une décennie qui « se définit donc non par un commencement, mais par une fin », dont l’ « ontologie est négative ».

10 ans de flottement, où les courants musicaux n’ont pas pris la peine de batailler pour se définir, où le sport se transforme en spectacle immense gonflé à la presse people et aux chimies du dopage, où la mondialisation change les règles du jeu économique (et l’Euro arrive en 1999) appuyé par le discours de la « fin de l’histoire ». Nineties où internet arrive par modem comme quelque chose à quoi l’on accède (avant de se faire i-connexion permanente), réalité virtuelle extérieure supposé booster l’économie, avant l’éclatement de la bulle spéculative des start-up du web au début des années 2000. Années 90 où la télévision est très critiquée, dénoncée, avant l’essor des séries télés début 2000 et d’un autre rapport entre cinéma et télé (« là est le changement de figure : les films ont de plus en plus été vus, vécus, revus et remémorés comme des fragments de nos vies »). Années de la guerre du Golfe, du génocide au Rwanda, de l’éclatement de la Yougoslavie, de la guerre donc qui s’efface comme grande guerre mais se fait tension et intervention permanente un peu partout dans le monde.

On voit par différentes perspectives et thèmes que se met en fait en place l’arrière fond sensible et politique des décennies suivantes (dont on réalise combien il faudrait s’en défaire sans nostalgie aucune), à commencer par le discours sur la fin des idéologies vers le « choc des civilisations » entre l’occident et l’islam, parallèle à une attaque très française des post-modernes et des dîtes politiques des identités venus d’Amérique qui menaceraient d’envahir l’Europe comme les trans menaceraient d’abolir la différence symbolique (selon Baudrillard).

Cette transition explorée par le livre (qui semble interminable à certains égards) montre aussi ce qui brise déjà la prétendue fin de l’histoire avec l’insurrection zapatiste, les batailles autour du SIDA par Act-up et d’autres, la grève de 1995 et les contre-sommets, les « spectres de Marx » et les TAZ.

Le mois dernier, nous discutions de « Constellations » qui (assurément d’une toute autre façon) faisait une histoire des années 2000. Ce livre comme bien des événements et des printemps des dernières années montre assez l’incongruité de discourir sur la fin de l’histoire, mais peut-être aussi sur la fin des idéologies, ou la perte de ceci ou cela au risque de manquer ce qui fait notre présent. On discute donc à rebours et par le biais d’un autre livre (qui tombe bien) des années 90 pour porter attention à ce qui précède et peut-être mieux saisir ce qui a commencé ensuite.

« La récupération de la culture contestataire des années 70 par le courant dominant des années 80 était idéologiquement très tranchée, avec ce tri qu’on a fait dans l’héritage de Mai 68 pour en évacuer le politique et n’en garder que le culturel, le sexuel, le médiatique (le Libé de Serge July, si vous voulez). Dans les années 90, toute proposition, même sociale ou politique, intéresse le champ médiatique et culturel. Internet, qui émerge alors, en est un véhicule privilégié, ne serait-ce que par la récupération qui s’y produit, en quelques années, d’une contre-culture californienne et libertaire par un nouveau système marchand.(François Cusset) »

Note

Café librairie Michèle Firk
Le café librairie Michèle Firk est ouvert du mercredi au samedi de 15h à 20h.

Il est situé au 9 rue François Debergue à Montreuil.
C’est tout près de la station de métro Croix-de-Chavaux sur la ligne 9.

Mots-clefs : histoire
Localisation : Montreuil

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